N PY récompense l avion et ignore le train

N PY récompense l avion et ignore le train


On passe parfois à côté d’infos qui méritent l’expression de notre mécontentement citoyen : cet hiver, N’Py (un groupement de 8 stations dans les Pyrénées) proposait d’offrir 2 jours de forfait de ski aux personnes prenant l’avion de Paris à Tarbes grâce à un partenariat avec l’aéroport de Tarbes/Lourdes et la compagnie Volotea.
Une offre lunaire, à l’heure où les rapports s’enchainent les uns après les autres, pour montrer à quel point nous fonçons dans le mur, à quel point chaque hiver est pire que le précédent…

Si certains pourraient défendre ça en expliquant que ça ne représente pas un si “grand” nombre de personnes, l’offre nous fait bondir pour 2 raisons principales : 
– l’empreinte des personnes venant en avion par rapport à si elles venaient en train est quand même majeur
– surtout, le symbole est catastrophique

Pendant que l’on se bat pour que les choses avancent en terme de mobilité, que le réseau ferroviaire s’améliore, que l’on alerte sur l’impact des transports qui ne faiblit pas… Voir de telles offres constitue un déni de la réalité scientifique. 
Il y a quelques semaines, nous partageions un article sur la situation dramatique des glaciers pyrénéens et leur rôle de lanceurs d’alerte. il faut croire que même les stations les plus proches n’entendent pas les cris de ces derniers.

Mais passé l’indignation, on s’est dit qu’il fallait agir et partager cette dernière aux acteurs du terrritoire. On a écrit une lettre ci-dessous invitant au dialogue et au changement sur ce sujet, envoyée il y a plusieurs semaines. 
Nous n’avons cependant pas encore eu de réponse, malgré des retours d’acteurs du territoires nous partageant que des stations de N’PY n’étaient pas au courant de l’initiative, et qu’un dialogue avait commencé en vue de l’hiver prochain.

Alors pour nous aider à faire réagir, vous pouvez déjà écrire via leur formulaire de contact pour les interpeller (interpeller ne veut pas dire insulter, restons bienveillants et portons un message constructif), afin de partager à N’PY ce que vous pensez de l’initiative et ce que vous aimeriez voir être mis en place. Et si vous êtes sur le territoire, n’hésitez pas à solliciter les élus/professionnels des stations concernées.

La Cour des Comptes accable les stations de montagne

La Cour des Comptes accable les stations de montagne

Il y a quelques jours, la Cour des Comptes 1 a publié un rapport nommé “Les stations de montagne face au changement climatique”. Un rapport plutôt critique, qui a fortement fait réagir des acteurs des territoires de montagne, tant associatifs qu’économiques.
Chez POW on a pris le temps de lire le rapport, lire les critiques et surtout de se rendre compte qu’il manquait un élément majeur dans toutes les discussions. On vous en parle !

D’abord, que dit ce rapport ?

Le rapport de la Cour des Comptes avait pour objectif “de préciser les conséquences du changement climatique sur le tourisme hivernal en montagne et d’examiner comment les stations s’y sont adaptées.” partant du postulat que la France est “une destination majeure pour le tourisme hivernal” (2ème au rang mondial en termes de visiteurs). Une bonne chose en soi selon nous qu’un organe indépendant comme la Cour des comptes existe et puisse établir des rapports et émettre des recommandations sur des secteurs aussi importants.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le rapport pointe du doigt un certain nombre de problèmes sur la façon dont les stations de montagne s’adaptent face au changement climatique.
Dans la synthèse du rapport (ici), le sommaire donne le ton d’emblée :
1/ Le modèle du ski français s’essouffle»
2/ Les politiques d’adaptation restent en deçà des enjeux
3/ La nécessité d’une gouvernance élargie et d’une meilleure préservation des ressources naturelles
4/ Un subventionnement public significatif et croissant

La Cour des comptes épingle notamment des stratégies d’adaptation encore trop centrées sur le tout ski avec trop peu d’efforts selon le rapport consacrés à la diversification des activités, et la production de neige de culture comme principal recours face au manque de cette dernière. Un constat qu’il est difficile de contester au vu des actualités sur le sujet qui fleurissent chaque année, comme la récente polémique qui enfle sur la neige récupérée et transportée par camion dans les Vosges.

Notre position là-dessus est que diriger la majeure partie des subventions vers des solutions technologiques témoigne d’une vision trop court-termiste et ne peut répondre que très partiellement à la nécessité de s’adapter face aux réalités environnementales actuelles et futures.

La production de neige permet de fiabiliser l’enneigement à court terme. Mais, elle ne constitue qu’une protection relative et transitoire contre les effets du changement climatique. Son coût est en effet important et son efficacité tend à se réduire avec la hausse des températures : dans certains cas, la production de neige peut tendre vers une mal-adaptation.

Extrait du rapport de la Cour des Comptes

Des conclusions contestées par certains professionnels de la montagne

Face au rapport accablant, des réactions et notamment de vives critiques sur les propos et la méthodologie de ce dernier ont été partagées.
L’ANEM (Association Nationale des Elus de Montagne), l’ANMSM (Associations Nationale des Maires de Stations de Montagne) et Domaines Skiables de France 2 ont publié un communiqué commun pour «exprimer leur déception» et regretté le fait que la Cour des Comptes soit «restée sourde aux acteurs de terrain».
Selon eux, le panel de stations choisi ne serait pas assez représentatif (42 stations réparties sur tous les massifs ont été contrôlées) avec trop peu de ”grosses” stations dans l’échantillon.
Toujours selon eux, «ce rapport ne tient pas compte non plus de l’engouement persistant des clientèles pour les sports de neige».

Parmi les nombreuses contestations, une réponse directe sur le neige de culture qui améliorerait «nettement le modèle économique des domaines skiables et sa résilience aux aléas météorologiques sur les 3 à 5 mois d’une saison d’hiver. Ce point est démontré par les études Climsnow désormais largement répandues».
Problème selon nous ? Les résultats des études Climsnow ne sont pas accessibles publiquement. Donc dans un souci de transparence, notamment pour un secteur qui touche de nombreux fonds publics, il serait plus que souhaitable que ces études soient communiquées et accessibles à n’importe qui. Cela permettrait de répondre sur le fond et la pertinence (ou non) des résultats de ces études.

En attendant, comme à notre habitude, on a mis un peu de temps à réagir chez POW. On a préféré laisser la course aux réponses se faire sans nous, le temps d’éplucher le rapport et lire les différents retours. Et ça tombe bien, parce qu’une critique sur le rapport, on en a une de taille !

L’éternel oublié 

Quand on a vu qu’un rapport de la Cour des Comptes était sorti sur l’adaptation des stations de ski face au changement climatique, chez POW on n’attendait qu’une chose : est-ce qu’on va parler du transport ?

On le rappelle une énième fois : le transport est à la fois le principal secteur d’émissions de GES (Gaz à effet de serre) à échelle nationale (32% des émissions, loin devant tous les autres secteurs), mais il l’est d’autant plus pour la montagne puisque 57% des émissions environ d’une station sont attribuées au transport 3
Alors forcément, dans un tel rapport, on espérait que ce sujet incontournable soit abordé au moment de parler de stratégies d’adaptation.

Spoiler : ce n’est pas le cas.

A aucun moment dans le rapport complet n’est abordée la question de la mobilité des vacanciers ou des habitants. Pas de mention de l’impact de la voiture, avec la nécessité de mettre en place des stratégies de développement du ferroviaire et d’accélération du report modal concernant le dernier kilomètre pour les visiteurs français. Pas de mention non plus du trafic aérien en pointant du doigt la quantité de visiteurs lointains et l’impact majeur qui en découle. (Exemple avec la Clusaz dont les émissions des visiteurs long courrier représentent 2% en volume, mais 33% de l’impact carbone du transport pour la station) 4 . Pas un mot non plus sur l’importance d’accompagner de manière bien plus forte les habitants des territoires de montagnes encore massivement dépendant à la voiture. 

Comment la mobilité peut-elle être autant absente d’une telle analyse et des recommandations qui en découlent, compte-tenu de son rôle prépondérant dans le réchauffement de nos montagnes, sans parler de son impact sur la pollution de l’air ?

Qu’il s’agisse de l’acheminement par voie aérienne des clientèles toujours plus éloignées, de la place prépondérante de la voiture thermique dans le transport des français à destination de la montagne, ou du manque de solutions pour la mobilité du quotidien pour les habitants des territoires concernés, le rôle pivot de la mobilité est transverse à tous les sujets évoqués dans le rapport : élargissement de la gouvernance, tourisme “4 saisons”, utilisation des finances publiques pour l’adaptation des stations, etc.

Extrait de notre lettre envoyée à la Cour des Comptes

On ose penser que si la mobilité est absente des conclusions, c’est que les analystes ont estimé que la responsabilité des transports n’est pas directement imputable aux stations de montagne, ou que le problème est plus large. Mais comment sortir de l’inaction si chaque acteur ne joue pas son rôle : les élus locaux attendent que la Région fasse davantage, la Région demande plus d’aide de l’Etat, l’Etat dit à la Région de faire mieux, la Région dit à la SNCF de faire plus avec moins, tout le monde dit que c’est trop cher et pas rentable… Et à la fin, pas grand chose ne bouge, voire tout recule, et la part du transport dans le bilan carbone français ne cesse d’augmenter depuis près de 35 ans.

Et si la raison de cette absence serait justifiable pour certains par le fait que c’est un rapport sur l’adaptation et que la mobilité est plus souvent de l’ordre de l’atténuation, l’aspect transverse des transports sur les éléments mentionnés nous invite à penser qu’elle aurait dû avoir plus de place dans le rapport.

Pour faire remonter ce qui nous semble un oubli majeur, ou un manque de considération concernant ce sujet, nous avons écrit une lettre au Premier président de la Cour des Comptes (accessible ici) afin de lui exprimer notre regret et d’appuyer le fait que Protect Our Winters France est disponible pour partager son expertise du sujet concernant les territoires de montagnes et porter la voix de nombreux pratiquants pour qui ce sujet est un problème majeur et récurrent.

Plus d’argent, plus de concertation ?

Pour conclure, on souhaiterait appuyer sur un autre point pas assez mis en avant selon nous par la Cour des Comptes : le manque de concertation. Il nous paraît primordial, pour aller dans la bonne direction face aux enjeux environnementaux – et pour la bonne santé de notre démocratie – que des processus impliquant et entendant davantage l’avis des citoyens soient répandus. 
Il serait tout à fait souhaitable qu’un secteur touchant autant d’argent public se voie conditionner ses aides par l’existence de plus de concertations, notamment sur la façon dont ses subventions devraient être investies. Les habitants des territoires de montagnes, en leur nom ou au travers de nombreux collectifs et associations, ont une voix à porter concernant la vie et l’avenir de leurs régions et doivent être entendues sur les sujets importants, à l’instar des Jeux Olympiques et Paralympiques 2030 (vous pouvez retrouver notre dernier article sur les JO 2030 ici)




  1. La Cour des comptes a pour mission principale de s'assurer du bon emploi de l'argent public et d'en informer les citoyens. Juridiction indépendante, elle se situe à équidistance du Parlement et du Gouvernement, qu’elle assiste l’un et l’autre .

  2. Chambre professionnelle des exploitants de domaines skiables .

  3. Source : Etude de l'ANMSM x Ademe x Mountain Riders 2010 .

  4. Source 2021, Cabinet Utopies pour la CLusaz, Bilan carbone 18-19 .

Conseils pour voyager en train avec Interrail

Conseils pour voyager en train avec Interrail

Dans le cadre du concours TOPOW (si tu n’es pas au courant, on fait gagner des pass Interrail ou des vélos : toutes les infos ici !) on voulait organiser des lives qui viennent apporter de l’aide aux personnes qui souhaiteraient partir avec Interrail, s’organiser une aventure à vélo, prendre des images mémorables de leur trip…
Aujourd’hui, on fait un focus sur le voyage en train !

Pour l’occasion, on était en compagnie de Mollow, une asso qui a créé une plateforme collaborative pour trouver des itinéraires de voyage. Attention, à peine tu auras cliqué que tu auras déjà envie de partir !

Durant le live, on aborde pas mal de choses différentes et notamment un certain nombre de liens à avoir de côté. Comme on est hyper sympa, on t’offre tout ce qui nous paraît pertinent ci-dessous :

– Le site de MOLLOW
On ne va pas en remettre une couche, mais forcément c’était le 1er lien qu’on voulait mettre dans la liste

Le groupe Facebook Interrail Travelers 
Si tu as une question concernant le ferroviaire dans un pays, le fonctionnement des réservations sur l’appli Interrail ou encore un conseil sur où prendre son billet le plus simplement, ce groupe est pour toi.

Carte Interrail / Carte des trains de nuit / Carte Open Rail
L’un des meilleurs moyens de se projeter en terme d’itinéraires, c’est les cartes !

Liste des sites de réservations par pays
Comme on explique dans le live, réserver sur l’appli Interrail, c’est pas toujours le bon plan quand on veut payer le moins cher possible (et aussi en terme de fiabilité d’horaires). Le mieux c’est de réserver sur le site du pays en question quand c’est possible.
Pour aider, la communauté Interrail a créé un article qui recense tous les sites par pays !

Guide Greenpeace 
Greenpeace a créé un guide avec 41 idées de voyages écologiques en Europe. Toujours + d’idées pour toujours + de voyages sans avion !

Article d’un voyage Interrail par votre serviteur
Histoire de vous donner davantage envie et de vous montrer le genre de trajets possibles avec le pass que l’on fait gagner avec TOPOW !

– Pour terminer, c’est pas un lien mais un conseil qu’on dit dans le live mais qu’on rappelle ici : ne sous-estimez pas l’importance des newsletters. 
Le voyage en train, que ce soit en France ou en Europe, ça peut être très cher, mais ça peut aussi être hyper accessible parfois. Malheureusement, quand on prend des lignes longue distance, c’est souvent 1er arrivé 1er servi pour les prix moins chers. Alors pour être au courant, abonne toi aux newsletters des compagnies qui t’intéressent. Et tu peux même les contacter pour demander quand ouvriront les billetteries sur certaines lignes !

On ne pouvait pas partir en vacances sans prendre la parole sur l’un des sujets les plus polémiques du moment : le projet Lyon-Turin. Si le projet est apparu dans le débat il y a déjà des dizaines d’années, il est revenu sous le feu des projecteurs ces dernières semaines. Montagne, mobilité, fortes oppositions… Tous les ingrédients sont réunis pour aboutir à un sujet clivant. On a donc pris le temps d’étudier ce dernier afin de vous proposer un éclairage et de vous partager notre opinion.

D’abord, c’est quoi ce projet Lyon-Turin ?!

Le projet Lyon-Turin, c’est la création d’une ligne de train à grande vitesse de 271 kilomètres qui relie Lyon et Turin : une partie d’environ 150 km de voies en France (encore à l’étude, on y reviendra),une partie de 65km transfrontalière (dont 58 km de tunnel) et une partie en Italie de 55 km.
Né de discussions qui ont commencé à la fin des années 80, avant d’évoluer au fur et à mesure des années, le projet Lyon-Turin a 2 grandes ambitions :
– Raccourcir le temps de trajet pour les passagers qui font Lyon-Turin ou Paris-Milan
– Augmenter le fret ferroviaire, afin de retirer des camions de marchandises de la route avec une circulation dans les deux sens du tunnel

On va se concentrer uniquement sur ce dernier point puisque c’est le plus grand intérêt du projet (80% de l’activité devrait être du fret) et l’aspect qui a une ambition environnementale. En effet, Lyon-Turin est extrêmement ambitieux sur le papier : cela pourrait permettre de mettre sur les rails 25 millions de tonnes de marchandises, sur les 44 millions qui transitent chaque année, contre quelques millions à l’heure actuelle.
A priori, pas de problèmes alors ! Un projet ferroviaire qui vient retirer des camions de la route, c’est exactement ce dont on a besoin. Oui, mais c’est un tout petit peu plus compliqué que ça…

C’est quoi LES problèmes ?

Malgré l’ambition du projet Lyon-Turin, il existe une vive opposition politique et citoyenne, qui s’est ravivée ces dernières semaines, à l’instar d’une manifestation en Maurienne le 17 juin, menée par plusieurs associations écologistes.
En cause : le tunnel aurait un impact colossal sur la montagne, que ce soit sur les ressources en eau, sur la biodiversité…
S’en suit alors une bataille d’arguments et de contradictions entre opposants et défenseurs du projet que l’on va essayer de vous résumer le plus simplement possible !

L’utilité du projet

Selon les opposants, le projet serait non seulement écocide, mais il ne serait pas utile. En effet, il existe déjà un tunnel utilisé pour le fret ferroviaire qui est sous-exploité : le tunnel du Mont-Cenis. C’est l’un des arguments phares qui a valu de nombreuses sorties dans les médias. Car oui, le tunnel de Mont-Cenis a vu transiter 2,7 millions de tonnes de marchandises en 2021. En 1984, c’était 3 fois plus, avec 8,1 millions de tonnes. Et ce n’est pas grâce à une diminution du volume total, puisque ce dernier a plutôt stagné (50 millions de tonnes avant 2000 contre 45 millions en 2021).
Alors pourquoi construire un nouveau tunnel plutôt que d’utiliser l’existant ?
Le ministère des transports rétorque en mettant en avant l’évolution des normes de sécurité (notamment côté italien) qui font qu’il n’est plus possible – malgré des travaux dans les années 2010 – de faire circuler autant de marchandises. Et donc que les lignes existantes ne pourraient pas répondre aux enjeux de fret comme le ferait ce nouveau projet.

Soit ! Il paraît logique que les normes de sécurités avancent avec le temps et que les anciennes infrastructures ne puissent plus être à la hauteur.
Mais cette diminution du fret s’inscrit dans un contexte national qui a vu le fret mourir à petit feu. Concernant les échanges entre la France et l’Italie, la part du ferroviaire dans le transport de marchandise au global a été divisée par trois entre 1999 et 2020 (passant de 19,9% à 7,4%) augmentant donc la part du transport routier. Cela fait donc longtemps que nous sommes sur une pente glissante, peu importe l’évolution des normes de sécurité.

A l’instar des petites lignes voyageurs, ou encore des lignes de train de nuit : c’est un enchaînement de politiques publiques favorisant les gros projets, favorisant la route, qui font que nous en sommes là aujourd’hui. Tandis qu’il n’y a pas assez d’argent pour conserver certaines lignes ou voir apparaître certains projets…

Lyon-Turin c’est cher, très cher 

On n’a pas encore parlé d’argent, et pourtant c’est là aussi l’un des points de discordes les plus importants autour du projet. Sans surprise, un projet aussi ambitieux coûte cher.

Problème N°1 : son coût progresse plus vite que les travaux.

Le projet était chiffré au départ à 12 milliards en 2002, puis 20 milliards, puis 24 milliards, avant de dépasser les 26 milliards en 2012 et aujourd’hui il est extrêmement probable qu’il dépasse les 30 milliards. Des montants de chèques qui grossissent, sans pour autant que l’on sache qui met combien dans la cagnotte !

Le coût total est réparti entre une partie financée par l’Italie, une partie par l’Europe et une autre partie par la France. Et concernant la France, l’Etat et la région Auvergne Rhône-Alpes se renvoient la balle pour que l’autre paie davantage.
Clément Beaune dit dans une interview  « Il faut maintenant un engagement clair de la Région. Il ne peut pas y avoir un scénario dans lequel l’État et l’Europe financeraient 100 % des accès. Il faut arrêter ce jeu de mistigri. »
Alors que l’Etat dit être prêt à mettre 3 milliards d’euros sur la table, Laurent Wauquiez répond dans une autre interview « Quand le ministre m’a écrit, il a dit sept milliards d’euros. En réalité, ce projet avec sa partie lyonnaise, c’est dix milliards d’euros. Après dans votre interview, si on fait les calculs, il sous-entend douze milliards  ». Ce dernier estime que l’Etat récupèrera les 3 milliards grâce à la TVA : “ L’engagement de l’Etat doit être un engagement net. Et ne pas donner d’une main et récupérer l’autre”.
Promis, cette séquence est certifiée sans trucage, il ne s’agit pas d’un désaccord sur une cagnotte anniversaire.

Il faut maintenant un engagement clair de la région. Il ne peut pas y avoir un scénario dans lequel l’Etat et l’Europe financeraient 100% des accès. Il faut arrêter ce jeu de mistigri

Clément Beaune

Ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé des Transports

Problème N°2 : de l’argent qui n’ira pas ailleurs.

L’autre problème du coût du Lyon-Turin, c’est l’allocation des ressources !
En soit, si ce projet permet d’éviter des dizaines de millions de tonnes de marchandises d’être transportées par la route, son prix n’est pas un problème. Après tout chez POW, on passe notre temps à militer pour des investissements massifs dans la mobilité. Que la Région et l’Etat règlent leurs querelles et que l’on fasse avancer (enfin !) la transition écologique des transports !
Oui mais voilà, nous ne sommes pas dans un contexte où les dépenses sont à la hauteur des enjeux. Le Haut Conseil pour le Climat le rappelait il y a quelques jours : nous n’allons pas assez vite et l’impact du transport continue d’augmenter.
Les investissements dans le ferroviaire sont largement insuffisants à l’échelle du territoire et il est certain qu’un projet de l’ampleur du Lyon-Turin vient empiéter sur d’autres projets, ayant peut-être davantage de garanties, que ce soit sur leur faisabilité, sur leur impact etc. Des exemples avec Lyon et le projet de RER Lyonnais, le CFAL…

Et si l’on parle de garanties, c’est parce qu’il y a encore de nombreux points d’interrogations sur Lyon-Turin.

 

Problème N°3 : une pluie d’incertitudes

Aujourd’hui, le tracé côté Français, donc la partie la plus conséquente de la ligne, n’est même pas encore ancrée. Il existe différents scénarios :  le Ministère des Transports avait confirmé en janvier selon l’AFP qu’il préconisait le scénario le plus coûteux, mais pour l’instant, rien de décidé.
Cerise sur le gâteau : le COI (Conseil d’Orientation des Infrastructures) a rendu un rapport dans lequel il plaide pour un report à 2045 (alors que l’échéance visée est plutôt autour de 2030) de l’ouverture de la nouvelle ligne ferroviaire, afin de recentrer la priorité sur la modernisation de la ligne existante entre Dijon et Modane.
Réponse de Jacques Gounon, président de la Transalpine (lobby en faveur du Lyon-Turin) : Le COI ne dispose pas d’éléments suffisants pour se prononcer”.
Et là, on touche au point central qui fait qu’il est aussi complexe de s’y retrouver dans ce dossier : la bataille des sources et des argumentaires.

On l’a mentionné au début de l’article, différents articles et rapports sont venus dénoncer ou appuyer le projet Lyon-Turin. Chacun s’appuie sur ce qui peut donner du poids à son camp, peu importe le degré de fiabilité des affirmations.
L’exemple le plus frappant : un rapport de la Cour des comptes européennes.
La Cour des comptes européennes a fait appel à un expert indépendant afin d’évaluer le projet Lyon-Turin. Conclusions :
Si le rapport valide tout de même l’intérêt du projet
– le projet accuse un retard de 15 ans
– le coût du tunnel a augmenté de 85%
– il existe un risque élevé de surestimation des effets positifs du projet

Selon le rapport, les émissions de CO2 du projet ne seraient pas compensées avant 25 ans à partir de l’entrée en service. 50 ans dans le pire des cas. Une dette carbone énorme donc.

Réponse des défenseurs du projet ? Jacques Gounon a demandé l’identité de l’expert indépendant. Il s’agit d’Yves Crozet, président du think tank de l’Union routière de France, lobby de défense des métiers de la route (sociétés autoroutières, pétrolières, BTP..). Le comité pour la Transalpine a donc remis en cause la neutralité de ce dernier.

Quand les opposants dégainent ce rapport pour alerter sur la trajectoire du projet Lyon-Turin, les défenseurs bottent en touche en mettant en avant sa non pertinence.

Symptomatique d’un sujet aux enjeux politiques et économiques immenses, pour lequel on peine à comprendre comment il est possible d’avoir rapidement un avis clair face à toutes ces couches d’informations opaques…

 

 « Bon, je comprends mieux pourquoi des écologistes peuvent s’opposer à ce projet et pourquoi ça fait débat. Mais à la fin POW, vous en pensez quoi ? »

Avoir une position tranchée sur ce sujet n’était pas la chose la plus simple qu’on ait eu à faire. On a omis pas mal de choses qui pourraient nourrir plusieurs articles au moins aussi long. Ce que l’on peut dire avec les informations dont l’on dispose au moment d’écrire ces lignes : s’il y a urgence à ce que des projets ambitieux réduisant les émissions de GES du transport voient le jour, il y a encore de nombreux points d’interrogation qui font qu’il est difficile de défendre le projet Lyon-Turin dans sa conjoncture actuelle.
Oui, les impacts environnementaux autour de la biodiversité doivent être considérés le plus sérieusement du monde lorsque des projets de cette envergure voient le jour. Si l’on n’a pas assez d’éléments à disposition pour affirmer ou infirmer ce qu’il en est sur Lyon-Turin, il est certain que l’on n’arrivera pas à répondre aux enjeux climatiques sans des aménagements du territoire visant à diminuer la consommation d’énergies fossiles. A l’instar des barrages d’hydroélectricité ou d’autres moyens de production d’énergie, il n’y a pas de solutions parfaites. L’énergie la plus propre restera toujours celle que l’on ne consomme pas. C’est dans cette veine que nous regrettons qu’il ne soit quasiment jamais fait mention de sobriété et de réductions de trafics de marchandises.

Cependant, les zones d’ombres autour du projet sont nombreuses :
Quel sera le coût final du projet ? Quel impact aura-t-il sur le développement d’autres projets ?
Quelle réelle ambition accompagne ce financement ? L’ambition sur le papier est de réduire le nombre de camions sur les routes, mais comment expliquer que le fret diminue d’année en année ? Pourquoi continue-t-on à développer des chantiers routiers et autoroutiers partout en France, et notamment sur le territoire concerné, comme avec la construction récente d’un nouveau tube de circulation dans le tunnel routier du Fréjus ?
Quelles législations viendront encadrer la mise en service du tunnel ? Construire des lignes pour que les camions montent sur les trains, c’est bien. S’assurer que les camions empruntent ces trains, c’est mieux. Nous pouvons imaginer une législation qui oblige les camions à passer par le fret, plutôt qu’une énième taxe incitative, mais ce n’est pour l’instant pas ce qui est prévu au programme.
Quelles politiques publiques misent en place à l’avenir pour faire en sorte que la quantité de marchandises et son nombre de kilomètres à travers l’Europe diminue ?
Au-delà du projet et de toutes les questions auxquelles nous aimerions des réponses, c’est tout un traitement de ce dernier que nous condamnons.
Pendant des semaines, nous avons vu dans les médias des personnalités politiques ou médiatiques se succéder les unes aux autres pour cracher sur les opposants, les traitant notamment de “faux-écologistes”. Le Ministre Clément Beaune lui-même a déclaré “Comment peut-on être écologiste et contre un projet ferroviaire ?” comme si le simple fait qu’il y ait du train était un joker anti-débat, que ça suffisait à exempter les élus en place de faire preuve de pédagogie et/ou d’inclure les populations locales dans le processus. Il est légitime de se poser des questions sur des projets d’une telle ampleur. Nous faisons face sans doute au plus grand défi de l’humanité, on ne pense pas qu’insulter les personnes ou dissoudre les mouvements qui s’opposent et mettent en doute un projet d’aménagement soit la réponse appropriée d’une démocratie.
Qui plus est venant d’une multitudes d’élus responsables du manque d’ambition écologique de la France, responsables du trop faible nombre de trains en France, responsables d’un manque de courage lorsqu’il s’agit d’agir sur l’aéronautique ou simplement de limiter les autoroutes à 110km/h… Pendant quelques semaines, nous avons eu l’impression de n’avoir que des personnes favorables au fait de débourser des milliards en faveur du ferroviaire. Malheureusement, il y a peu de chances que l’entrain collectif sera le même d’ici quelques semaines, quand il ne s’agira plus d’un projet à 30 milliards pointés du doigts par des élus du camp opposé.

Pour conclure notre position sur Lyon-Turin, nous espérons avant tout des réponses (à l’instar des questions posées par Mountain Wilderness et la CIPRA récemment) et plaidons pour que celles-ci arrivent dès maintenant, plutôt que de voir les travaux continuer sans débat public. Le projet devrait voir le jour quoiqu’il arrive, reste à s’engager pour que celui-ci soit le plus écologique possible. Faisons en sorte qu’il soit davantage une locomotive pour d’autres projets mieux abordés, plutôt qu’un wagon trop gros empêchant les autres de voir la lumière au bout du tunnel et causant une multitude de dégâts sur son passage.