Retenue collinaire à Clusaz : récap, communiqué et interview

Retenue collinaire à Clusaz : récap, communiqué et interview

Il y a quelques semaines, le maire de la Clusaz a annoncé un moratoire concernant le projet de retenue collinaire sur le plateau de Beauregard.
On voulait vous proposer alors un récap de ce gros projet qui a animé le territoire pendant des années, avec la position des associations qui ont milité contre, mais aussi une interview de David Perillat-Amédée, adjoint au maire de la Clusaz à qui on a voulu poser plusieurs questions.
Pour rappel, vous pouvez retrouver notre position officielle sur le sujet ici 



D’abord, si le sujet ne vous parle pas trop, on se tente de vous résumer ça en quelques lignes : la Clusaz souhaitait construire une 5ème retenue collinaire, c’est-à-dire un trou d’environ 150 000m3 pour capter l’eau, et s’en servir à la fois pour alimenter le village en eau, mais aussi pour la neige artificielle. Une consultation publique a eu lieu et a recueilli une majorité d’avis négatif, mais la commission d’enquête a rendu un avis favorable, avant que le préfet de Haute-Savoie donne son feu vert.
 Des associations s’y sont opposées avec le soutien de nombreux citoyens, par le biais d’une ZAD (occupation des lieux) notamment. Le tribunal administratif de Grenoble, saisi par les associations, a suspendu l’arrêté préfectoral autorisant le lancement des travaux il y a un an, mettant en doute le caractère essentiel de ces-derniers. Début septembre, le maire a annoncé un moratoire sur le projet, c’est-à-dire la suspension du projet, alors que devait commencer des travaux mais que le tribunal n’avait pas rendu son verdict.

Cette nouvelle sonne la fin d’un dossier qui dure depuis des années, et la victoire d’associations et citoyens qui se sont longuement opposés au projet. Du côté des élus, cela signifie qu’il n’y aura pas de 5ème retenue collinaire pour l’instant. Pour entendre et comprendre les différentes parties, on souhaitait vous relayer d’un côté le communiqué de presse de la coalition d’associations et de citoyens, et de l’autre la parole d’un élu revenant sur ce dossier.

Après la position des associations et le court récapitulatif des faits, on vous partage l’échange que l’on a eu avec David Perrilat-Amédée, adjoint au maire de la Clusaz. ⬇️

La première chose qu’on voulait vous demander, c’est revenir sur la décision du moratoire. Comment cette décision s’est construite en interne ?  


On se posait la question de savoir quand est-ce qu’on allait pouvoir commencer, notamment le défrichement, si on avait une réponse du Conseil d’État favorable, est- ce qu’on allait y aller, etc. On s’est vite rendu compte que le timing n’allait pas, et puis c’était encore un peu de tension qui allait arriver si on attaquait le défrichement rapidement. On s’est aussi rendu compte qu’on pouvait pas engager la responsabilité de la commune pour un montant de 10 millions d’euros alors qu’on ne savait même pas quand et comment on pourrait mettre de l’eau dans cette future retenue. À un moment donné, on a dit “il faut être raisonnable”.
On respecte la justice, le dossier est dans la main de la justice sur le fond. Donc autant se consacrer sur d’autres projets parce qu’on a d’autres beaux projets qui vont bientôt sortir. Pour l’instant, le projet a besoin d’être étudié par la justice sur le fond et on va travailler avec eux pour se préparer à le faire un jour peut-être.

En tant qu’association, on voulait revenir avec vous, sur toutes les mobilisations qui ont eu lieu. Le projet a animé de nombreux débats, ça a mobilisé beaucoup de gens, notamment avec de nombreux opposants qui sont venus exprimer leurs désaccords à travers une ZAD, etc. Dans un premier temps, vous, comment avez-vous vécu tout ça ? Et dans un deuxième temps, comment percevez-vous que ce soit cette mobilisation qui ait amené le tribunal administratif à saisir du sujet ?

Tout d’abord, c’est vrai que ça a été douloureux de vivre ces moments- là, parce que je pense qu’il n’y a aucune station qui a subi autant d’attaques et deux ZADS se sont installés quand même sur le secteur. Des enneigeurs qui ont été détériorés, des menaces de mort qui ont été reçues, des mots plus forts que les autres qui ont été donnés et lancés envers les élus et puis aussi envers la station. Donc, je crois que je ne sais pas qui d’autre comme station de ski ou support de station de ski a vécu ça jusqu’au jour. Donc, à la fois un peu de colère parce que ce n’est pas dans nos habitudes, mais un peu de douleur, et aussi beaucoup d’inquiétude sur ces phénomènes- là. Donc oui, pas facile à vivre. Pas facile à vivre parce qu’ on a été le symbole du ski bashing et puis un peu un paratonnerre pendant que d’autres faisaient leurs investissements dans la neige et dans les retenues tranquillement de leur côté et que nous, on a pris un peu pour tout le monde, un peu le symbole. Ce n’est pas facile à vivre pour les élus qui bossent toute la journée et les techniciens surtout.
C’est un projet aujourd’hui de la Clusaz qui est attaqué par des associations, mais ça fait partie du jeu quelque part. Il faut savoir l’accepter avec humilité.

Si je comprends bien, au-delà évidemment des dérives que tout le monde ne peut que condamner comme les menaces de mort, vous, une des choses que vous comprenez le moins, c’est le fait que ça a été la Clusaz et pas forcément d’autres à côté de vous, plus que le fait que des personnes décident de s’installer, etc, pour exprimer un mécontentement ?

Non, le plus dur, c’est quand on voit cette mobilisation, des gens de l’extérieur, parce que dans ces mobilisations on est passé discrètement voir ce qui se passait, et je n’ai pas vu trop de gens que je connaissais. Cette mobilisation extérieure qui s’est faite à la Clusaz, ça a été violent. Tant mieux si nos voisins ont pu faire tous les projets qu’ils souhaitaient faire. Tant mieux pour eux, tant mieux pour la montagne. Maintenant, oui, la Clusaz est aussi une station qui est regardée, écoutée et peut- être enviée pour certains, donc c’est tombé sur nous. C’est peut- être aussi notre modèle économique de La Clusaz qui est un symbole aussi dans les deux sens.

Je reviens là-dessus mais c’est l’axe le plus important pour nous en tant qu’association, que ce soit ce projet ou un autre : que ce soit pour les citoyens ou pour les associations, d’un côté, c’est ultra condamné et criminalisé le fait qu’il y ait des modes d’action contestataires ; et de l’autre, cela permet d’enclencher des processus totalement démocratiques qui ne se seraient peut- être pas enclenchés d’autres façons.
En voyant tout ça et là, avec le recul maintenant que ce “chapitre” est terminé, qu’est-ce que vous pensez de ça et est-ce que vous tirez des enseignements de la façon dont ce projet a été mené ? Est-ce qu’il y a des choses que vous feriez autrement à l’avenir si c’était à refaire ?

Sur le processus démocratique, il a été fait au moment des élections puisque quand nous, on est arrivé, nouveau mandat, le nouveau maire et les nouveaux élus, ce n’est pas quelque chose qui était méconnu des citoyens. On a été élus à plus de 60 %. C’était marqué dans nos programmes. C’était pas méconnu et on l’a su avec l’enquête publique qu’il y a eu, la grande majorité des citoyens du village soutiennent dans ce projet- là (ndlr : la majorité des personnes participantes à l’enquête publique se sont opposées au projet). Après, c’est cette mobilisation extérieure… Sur le projet en lui- même, il y a des contestataires. Très bien, mais c’est aussi ce que représente ce projet- là qui est contesté. Donc là, ça va au- delà du projet en lui- même.
Je pense qu’il y a eu une mobilisation locale très petite parce que c’est cette petite mobilisation locale qui a fait des vagues et un tsunami par la suite.
On a le droit de ne pas être d’accord sur le fait qu’il soit fait à cet emplacement- là. Forcément, comme toute construction, on enlève des arbres et des trucs et on dénature un petit peu, mais dans le projet, il y a des compensations, il y a des choses qui sont faites pour que ça passe puisque d’ailleurs, on a toujours l’agrément de l’environnement. Ce qui est le plus compliqué pour les gens d’ici, c’est au- delà de ce symbole, c’est que cette mobilisation, elle est devenue incontrôlable sur d’autres sujets, sur un mélange avec d’autres sujets sociétaux.
Alors pour revenir à votre question, oui, il y a des leçons à en tirer. Peut-être que sur l’ensemble des projets, il faut en parler aux associations, certes. Mais nous, ce qui nous intéresse, ce sont les projets locaux. On a toujours travaillé avec nos sociopros, on a toujours travaillé avec nos habitants.

Effectivement, vous vous parlez d’un soutien local, d’un sujet bien connu localement, etc. Sans valider ou remettre en cause ce point, si je vous pose la question de l’avenir, c’est parce que, d’abord ça paraît quasi certain que ce genre de mobilisation et l’implication de personnes sur un plus grand spectre arrivera sur d’autres projets à l’avenir. Et ensuite, est-ce que vraiment, selon vous, une implication extérieure est forcément plus délégitimée quand on sait le nombre de personnes qui sont passionnées, amoureux de montagne, quand on sait le nombre de personnes que la montagne ramène tous les ans et quand on sait l’ampleur et l’importance des sujets écologiques ?

C’est un peu philosophique, moi je suis assez pragmatique.

Je ne pense pas que ce soit philosophique, quand on prend le nombre de personnes qui vont à la montagne par an, c’est à peu près un français sur dix. Est-ce que les personnes qui vont plusieurs fois à la montagne par an, est-ce qu’ils n’ont pas du tout de pouvoir citoyen sur un projet qui aura un impact effectivement à échelle locale, mais aussi à plus grande échelle territoriale ou nationale, par exemple quand on pense aux enjeux de l’eau et aux enjeux climatiques ?

Oui, après, il faut remettre un peu les pieds sur terre. Les projets qu’on a, c’est un centre socio- culturel. Les projets qu’on a, c’est des habitations pour nos habitants, c’est des habitations pour les saisonniers.

Je ne prenais pas le cas de certains projets comme ceux-là.

Avant tout, on n’est pas le totem de la montagne la Clusaz, on est un village, avec des besoins pour les habitants, ils ont des besoins de vivre à l’année.
Donc s’il y a d’autres projets qui touchent plus fermement la montagne, plus fortement la montagne, c’est sûr qu’on s’y prendra autrement. C’est la réponse qu’on attend. Forcément, on va s’y prendre autrement. Mais on cristallise beaucoup sur ce projet d’une cinquième retenue sur la la station. Les projets de la commune, ils ne s’arrêtent pas là.
Donc, en fait, oui, les gens de l’extérieur, désolé, mais on ne focalise que sur un projet qui détruit la montagne, alors que nous, on a toujours géré en bon père de famille et qu’on a d’autres dossiers sur lesquels on a travaillé depuis deux ans.
On a un plan de diversification de nos activités de loisirs qu’on a travaillé depuis deux ans et qui va sortir. Les priorités ne sont pas les mêmes aujourd’hui. Les priorités en 2023 ne sont pas les mêmes qu’en 2020, parce qu’on sait très bien que le “tout ski” ce n’est pas là qu’il faut investir. Après, c’est sûr que s’il y a des investissements qui doivent être faits sur le milieu montagnard, peut- être qu’on ira chercher un peu au-delà de notre tissu local pour faire ces projets-là.

Je prenais vraiment l’exemple de la retenue collinaire, qui comme vous l’avez répété, est un symbole et en même temps un enjeu écologique. Ce projet, à l’instar d’autres projets, même plus gros, si je prends l’exemple du Lyon-Turin, vous comprenez que ce sont des projets qui peuvent amener de plus larges mobilisations ?

Un projet comme le Lyon-Turin , effectivement je comprends qu’il peut y avoir une mobilisation nationale, internationale et que c’est un sujet de société. Nous, aujourd’hui, les projets qu’on a sont quand même pas de la même envergure.
On a quand même beaucoup de renoncements depuis qu’on est là : l’installation d’un club MED, le renoncement d’étendre notre domaine skiable, de ne pas mettre la liaison avec le Grand-Bornand…
Donc sur les sujets “extra-villages” on a déjà fait pas mal de renoncements.
Maintenant, a des beaux projets qui vont sortir. Il y a une réunion publique fin du mois pour exprimer tout cela à la population, parce que c’est à eux d’avoir la primeur de nos annonces et d’autres visions. Mais bien sûr que sur des projets d’une manière plus générale, plus montagne, il faudra forcément travailler avec les associations locales et voire territoriales pour avancer sur ces sujets- là, mais on ne pose pas la question maintenant car ce qu’on va faire c’est plutôt de l’ordre du tissu local.
Notre avenir est là. Nous, la Clusaz, on n’a jamais été chercher des séjours long courrier, on ne s’est jamais dit d’une station internationale… Là maintenant, on a 20% de clientèle étrangère et c’est le maximum qu’on a pu avoir ces dernières années. On a quand même une clientèle très franco- française et de plus, une clientèle très locale avec le bassin Annécien. Aujourd’hui, on n’a pas de projets pharaoniques qui vont venir bouleverser ce milieu.

Aventure Bénévole : les Pyrénéens au Glacier d Ossoue

Aventure Bénévole : les Pyrénéens au Glacier d Ossoue

Le 5 septembre 2023, Emmanuel, Laura et Caroline de la team Pyrénées ont participé à une sortie de l’association Moraine (l’Observatoire des Glaciers des Pyrénées françaises). Ils ont accompagné le glaciologue Pierre René pour effectuer des mesures et comprendre les transformations du glacier d’Ossoue, le plus grand des Pyrénées françaises (25ha en 2022). Il s’agit de la deuxième fois où Moraine et POW se retrouvent depuis 2020, et nous avons déjà écrit des articles pour parler des glaciers pyrénéens ici.

Dans les Pyrénées, les glaciers ont perdu 90% de leur superficie depuis 1850 et sont condamnés à disparaître, représentant de véritables reflets du changement climatique. Le glacier d’Ossoue se situe sur le massif du Vignemale (3298m) entre 2770 et 3200m d’altitude. La petite team POW y a donc retrouvé Pierre René afin de s’intéresser aux variations de l’épaisseur du glacier qui constitue le paramètre le plus représentatif de son comportement, afin de rendre compte de sa fonte. De mai à octobre, Pierre René s’y rend tous les mois afin d’en mesurer l’ablation, c’est-à-dire la quantité de glace qui a fondu. Pour ce faire, il utilise des balises d’ablation constituées de 5 piquets en bois de 2m de long implantés dans la glace.

Les mesures effectuées le 5 septembre 2023 sont dramatiques et confirment l’état extrêmement critique du glacier. Sur l’une des balises, les chiffres étaient particulièrement stupéfiants : pendant le mois d’août seulement, 2,05m avaient fondu, soit pratiquement 7cm par jour. 

Ce chiffre assez effroyable permet de réaliser l’ampleur de la fonte du glacier d’Ossoue, et se dire qu’il y a un mois on aurait été sous la glace est assez terrifiant. C’est vraiment émouvant d’être sur cette étendue de glace qui fond sous nos pieds, ce patrimoine qui s’effondre, et c’est tellement important de s’intéresser au travail des scientifiques pour réaliser ce qu’il se passe
Laura, bénévole POW France

Le glacier d’Ossoue a perdu 40m d’épaisseur depuis 2001, presque 2m par an. Toutefois, “cette tendance est peut-être en train de s’accélérer” explique Pierre René.
“L’année dernière, en 2022, il a perdu 4,50m d’épaisseur, plus du double. Cette année, à partir des mesures qui ont été faites – même si on est encore sur des relevés intermédiaires puisque le bilan se fera en octobre – – on est déjà à 3m de glace perdus. Donc on est à nouveau bien au-dessus de la moyenne. Cette diminution du glacier d’Ossoue se poursuit, et semble peut-être s’accélérer.”

Après avoir effectué ce travail de terrain essentiel pour comprendre l’ampleur de la fonte du glacier, une question nécessaire s’est posée : quels en sont les impacts ?

Pierre René a également fait part de son expertise sur ce sujet primordial. En premier lieu, on va inévitablement faire face à une perte de biodiversité qui vit dans cet environnement de haute montagne et dépend de la glace. La pratique de la haute montagne est également affectée, l’accès aux sommets devenant difficile à cause des éboulements ainsi que de la multiplication de roches à gravir. À ce titre, au mois d’août, certains bureaux des guides ont cessé de proposer l’ascension de l’Aneto (point culminant des Pyrénées à 3404m, côté espagnol).

 

Le rôle premier des glaciers pyrénéens est d’être des lanceurs d’alertes, des reflets du climat. À travers leur disparition, on voit un signal d’alerte supplémentaire de ce réchauffement global
Pierre René, Glaciologue

Pierre René évoque aussi un impact plus esthétique, avec “une transformation irréversible, au moins à court terme, des paysages de haute montagne”. Il rappelle tout de même que les impacts restent limités pour les glaciers pyrénéens car ils sont très petits, mais qu’ils doivent devenir des symboles du changement climatique en France et dans les régions de montagne en général. Comme il l’a bien souligné : le rôle premier des glaciers pyrénéens est d’être des lanceurs d’alertes, des reflets du climat. À travers leur disparition, on voit un signal d’alerte supplémentaire de ce réchauffement global. Les glaciers sont de véritables indicateurs de l’état de santé de la Terre, permettant de mesurer l’ampleur du changement climatique et de ses effets qui y sont directs.
“On a souvent du mal à se rendre compte de l’urgence climatique. Le rythme effréné à laquelle ce glacier fond l’incarne parfaitement. Pour ce glacier il est déjà trop tard, mais il y a tant de choses à faire , et ne pas faire, pour sauver les autres” complète Caroline qui se veut optimiste.

“Cette expérience de terrain fut enrichissante, tant pour être témoin en temps réel des effets dévastateurs du changement climatique que de permettre à notre petite communauté pyrénéenne de se rencontrer pour partager quelque chose de concret” s’est exprimé Emmanuel en guise de conclusion.

Cette belle équipe pyrénéenne n’attend qu’une chose : s’agrandir et se retrouver à nouveau dans ses beaux massifs. N’hésitez pas à nous écrire alors pour rejoindre la team POW ! 😉 Pour ça, vous pouvez directement vous rendre sur notre site ici, ou nous écrire à l’adresse benevoles@protectourwinters.fr !

Pour aller plus loin sur le sujet des glaciers on vous conseille cette vidéo et sachez que si vous êtes dans les Alpes, on a de nombreux groupes locaux également, avec qui vous pourriez venir vivre d’autres aventures similaires !

On ne pouvait pas partir en vacances sans prendre la parole sur l’un des sujets les plus polémiques du moment : le projet Lyon-Turin. Si le projet est apparu dans le débat il y a déjà des dizaines d’années, il est revenu sous le feu des projecteurs ces dernières semaines. Montagne, mobilité, fortes oppositions… Tous les ingrédients sont réunis pour aboutir à un sujet clivant. On a donc pris le temps d’étudier ce dernier afin de vous proposer un éclairage et de vous partager notre opinion.

D’abord, c’est quoi ce projet Lyon-Turin ?!

Le projet Lyon-Turin, c’est la création d’une ligne de train à grande vitesse de 271 kilomètres qui relie Lyon et Turin : une partie d’environ 150 km de voies en France (encore à l’étude, on y reviendra),une partie de 65km transfrontalière (dont 58 km de tunnel) et une partie en Italie de 55 km.
Né de discussions qui ont commencé à la fin des années 80, avant d’évoluer au fur et à mesure des années, le projet Lyon-Turin a 2 grandes ambitions :
– Raccourcir le temps de trajet pour les passagers qui font Lyon-Turin ou Paris-Milan
– Augmenter le fret ferroviaire, afin de retirer des camions de marchandises de la route avec une circulation dans les deux sens du tunnel

On va se concentrer uniquement sur ce dernier point puisque c’est le plus grand intérêt du projet (80% de l’activité devrait être du fret) et l’aspect qui a une ambition environnementale. En effet, Lyon-Turin est extrêmement ambitieux sur le papier : cela pourrait permettre de mettre sur les rails 25 millions de tonnes de marchandises, sur les 44 millions qui transitent chaque année, contre quelques millions à l’heure actuelle.
A priori, pas de problèmes alors ! Un projet ferroviaire qui vient retirer des camions de la route, c’est exactement ce dont on a besoin. Oui, mais c’est un tout petit peu plus compliqué que ça…

C’est quoi LES problèmes ?

Malgré l’ambition du projet Lyon-Turin, il existe une vive opposition politique et citoyenne, qui s’est ravivée ces dernières semaines, à l’instar d’une manifestation en Maurienne le 17 juin, menée par plusieurs associations écologistes.
En cause : le tunnel aurait un impact colossal sur la montagne, que ce soit sur les ressources en eau, sur la biodiversité…
S’en suit alors une bataille d’arguments et de contradictions entre opposants et défenseurs du projet que l’on va essayer de vous résumer le plus simplement possible !

L’utilité du projet

Selon les opposants, le projet serait non seulement écocide, mais il ne serait pas utile. En effet, il existe déjà un tunnel utilisé pour le fret ferroviaire qui est sous-exploité : le tunnel du Mont-Cenis. C’est l’un des arguments phares qui a valu de nombreuses sorties dans les médias. Car oui, le tunnel de Mont-Cenis a vu transiter 2,7 millions de tonnes de marchandises en 2021. En 1984, c’était 3 fois plus, avec 8,1 millions de tonnes. Et ce n’est pas grâce à une diminution du volume total, puisque ce dernier a plutôt stagné (50 millions de tonnes avant 2000 contre 45 millions en 2021).
Alors pourquoi construire un nouveau tunnel plutôt que d’utiliser l’existant ?
Le ministère des transports rétorque en mettant en avant l’évolution des normes de sécurité (notamment côté italien) qui font qu’il n’est plus possible – malgré des travaux dans les années 2010 – de faire circuler autant de marchandises. Et donc que les lignes existantes ne pourraient pas répondre aux enjeux de fret comme le ferait ce nouveau projet.

Soit ! Il paraît logique que les normes de sécurités avancent avec le temps et que les anciennes infrastructures ne puissent plus être à la hauteur.
Mais cette diminution du fret s’inscrit dans un contexte national qui a vu le fret mourir à petit feu. Concernant les échanges entre la France et l’Italie, la part du ferroviaire dans le transport de marchandise au global a été divisée par trois entre 1999 et 2020 (passant de 19,9% à 7,4%) augmentant donc la part du transport routier. Cela fait donc longtemps que nous sommes sur une pente glissante, peu importe l’évolution des normes de sécurité.

A l’instar des petites lignes voyageurs, ou encore des lignes de train de nuit : c’est un enchaînement de politiques publiques favorisant les gros projets, favorisant la route, qui font que nous en sommes là aujourd’hui. Tandis qu’il n’y a pas assez d’argent pour conserver certaines lignes ou voir apparaître certains projets…

Lyon-Turin c’est cher, très cher 

On n’a pas encore parlé d’argent, et pourtant c’est là aussi l’un des points de discordes les plus importants autour du projet. Sans surprise, un projet aussi ambitieux coûte cher.

Problème N°1 : son coût progresse plus vite que les travaux.

Le projet était chiffré au départ à 12 milliards en 2002, puis 20 milliards, puis 24 milliards, avant de dépasser les 26 milliards en 2012 et aujourd’hui il est extrêmement probable qu’il dépasse les 30 milliards. Des montants de chèques qui grossissent, sans pour autant que l’on sache qui met combien dans la cagnotte !

Le coût total est réparti entre une partie financée par l’Italie, une partie par l’Europe et une autre partie par la France. Et concernant la France, l’Etat et la région Auvergne Rhône-Alpes se renvoient la balle pour que l’autre paie davantage.
Clément Beaune dit dans une interview  « Il faut maintenant un engagement clair de la Région. Il ne peut pas y avoir un scénario dans lequel l’État et l’Europe financeraient 100 % des accès. Il faut arrêter ce jeu de mistigri. »
Alors que l’Etat dit être prêt à mettre 3 milliards d’euros sur la table, Laurent Wauquiez répond dans une autre interview « Quand le ministre m’a écrit, il a dit sept milliards d’euros. En réalité, ce projet avec sa partie lyonnaise, c’est dix milliards d’euros. Après dans votre interview, si on fait les calculs, il sous-entend douze milliards  ». Ce dernier estime que l’Etat récupèrera les 3 milliards grâce à la TVA : “ L’engagement de l’Etat doit être un engagement net. Et ne pas donner d’une main et récupérer l’autre”.
Promis, cette séquence est certifiée sans trucage, il ne s’agit pas d’un désaccord sur une cagnotte anniversaire.

Il faut maintenant un engagement clair de la région. Il ne peut pas y avoir un scénario dans lequel l’Etat et l’Europe financeraient 100% des accès. Il faut arrêter ce jeu de mistigri

Clément Beaune

Ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé des Transports

Problème N°2 : de l’argent qui n’ira pas ailleurs.

L’autre problème du coût du Lyon-Turin, c’est l’allocation des ressources !
En soit, si ce projet permet d’éviter des dizaines de millions de tonnes de marchandises d’être transportées par la route, son prix n’est pas un problème. Après tout chez POW, on passe notre temps à militer pour des investissements massifs dans la mobilité. Que la Région et l’Etat règlent leurs querelles et que l’on fasse avancer (enfin !) la transition écologique des transports !
Oui mais voilà, nous ne sommes pas dans un contexte où les dépenses sont à la hauteur des enjeux. Le Haut Conseil pour le Climat le rappelait il y a quelques jours : nous n’allons pas assez vite et l’impact du transport continue d’augmenter.
Les investissements dans le ferroviaire sont largement insuffisants à l’échelle du territoire et il est certain qu’un projet de l’ampleur du Lyon-Turin vient empiéter sur d’autres projets, ayant peut-être davantage de garanties, que ce soit sur leur faisabilité, sur leur impact etc. Des exemples avec Lyon et le projet de RER Lyonnais, le CFAL…

Et si l’on parle de garanties, c’est parce qu’il y a encore de nombreux points d’interrogations sur Lyon-Turin.

 

Problème N°3 : une pluie d’incertitudes

Aujourd’hui, le tracé côté Français, donc la partie la plus conséquente de la ligne, n’est même pas encore ancrée. Il existe différents scénarios :  le Ministère des Transports avait confirmé en janvier selon l’AFP qu’il préconisait le scénario le plus coûteux, mais pour l’instant, rien de décidé.
Cerise sur le gâteau : le COI (Conseil d’Orientation des Infrastructures) a rendu un rapport dans lequel il plaide pour un report à 2045 (alors que l’échéance visée est plutôt autour de 2030) de l’ouverture de la nouvelle ligne ferroviaire, afin de recentrer la priorité sur la modernisation de la ligne existante entre Dijon et Modane.
Réponse de Jacques Gounon, président de la Transalpine (lobby en faveur du Lyon-Turin) : Le COI ne dispose pas d’éléments suffisants pour se prononcer”.
Et là, on touche au point central qui fait qu’il est aussi complexe de s’y retrouver dans ce dossier : la bataille des sources et des argumentaires.

On l’a mentionné au début de l’article, différents articles et rapports sont venus dénoncer ou appuyer le projet Lyon-Turin. Chacun s’appuie sur ce qui peut donner du poids à son camp, peu importe le degré de fiabilité des affirmations.
L’exemple le plus frappant : un rapport de la Cour des comptes européennes.
La Cour des comptes européennes a fait appel à un expert indépendant afin d’évaluer le projet Lyon-Turin. Conclusions :
Si le rapport valide tout de même l’intérêt du projet
– le projet accuse un retard de 15 ans
– le coût du tunnel a augmenté de 85%
– il existe un risque élevé de surestimation des effets positifs du projet

Selon le rapport, les émissions de CO2 du projet ne seraient pas compensées avant 25 ans à partir de l’entrée en service. 50 ans dans le pire des cas. Une dette carbone énorme donc.

Réponse des défenseurs du projet ? Jacques Gounon a demandé l’identité de l’expert indépendant. Il s’agit d’Yves Crozet, président du think tank de l’Union routière de France, lobby de défense des métiers de la route (sociétés autoroutières, pétrolières, BTP..). Le comité pour la Transalpine a donc remis en cause la neutralité de ce dernier.

Quand les opposants dégainent ce rapport pour alerter sur la trajectoire du projet Lyon-Turin, les défenseurs bottent en touche en mettant en avant sa non pertinence.

Symptomatique d’un sujet aux enjeux politiques et économiques immenses, pour lequel on peine à comprendre comment il est possible d’avoir rapidement un avis clair face à toutes ces couches d’informations opaques…

 

 « Bon, je comprends mieux pourquoi des écologistes peuvent s’opposer à ce projet et pourquoi ça fait débat. Mais à la fin POW, vous en pensez quoi ? »

Avoir une position tranchée sur ce sujet n’était pas la chose la plus simple qu’on ait eu à faire. On a omis pas mal de choses qui pourraient nourrir plusieurs articles au moins aussi long. Ce que l’on peut dire avec les informations dont l’on dispose au moment d’écrire ces lignes : s’il y a urgence à ce que des projets ambitieux réduisant les émissions de GES du transport voient le jour, il y a encore de nombreux points d’interrogation qui font qu’il est difficile de défendre le projet Lyon-Turin dans sa conjoncture actuelle.
Oui, les impacts environnementaux autour de la biodiversité doivent être considérés le plus sérieusement du monde lorsque des projets de cette envergure voient le jour. Si l’on n’a pas assez d’éléments à disposition pour affirmer ou infirmer ce qu’il en est sur Lyon-Turin, il est certain que l’on n’arrivera pas à répondre aux enjeux climatiques sans des aménagements du territoire visant à diminuer la consommation d’énergies fossiles. A l’instar des barrages d’hydroélectricité ou d’autres moyens de production d’énergie, il n’y a pas de solutions parfaites. L’énergie la plus propre restera toujours celle que l’on ne consomme pas. C’est dans cette veine que nous regrettons qu’il ne soit quasiment jamais fait mention de sobriété et de réductions de trafics de marchandises.

Cependant, les zones d’ombres autour du projet sont nombreuses :
Quel sera le coût final du projet ? Quel impact aura-t-il sur le développement d’autres projets ?
Quelle réelle ambition accompagne ce financement ? L’ambition sur le papier est de réduire le nombre de camions sur les routes, mais comment expliquer que le fret diminue d’année en année ? Pourquoi continue-t-on à développer des chantiers routiers et autoroutiers partout en France, et notamment sur le territoire concerné, comme avec la construction récente d’un nouveau tube de circulation dans le tunnel routier du Fréjus ?
Quelles législations viendront encadrer la mise en service du tunnel ? Construire des lignes pour que les camions montent sur les trains, c’est bien. S’assurer que les camions empruntent ces trains, c’est mieux. Nous pouvons imaginer une législation qui oblige les camions à passer par le fret, plutôt qu’une énième taxe incitative, mais ce n’est pour l’instant pas ce qui est prévu au programme.
Quelles politiques publiques misent en place à l’avenir pour faire en sorte que la quantité de marchandises et son nombre de kilomètres à travers l’Europe diminue ?
Au-delà du projet et de toutes les questions auxquelles nous aimerions des réponses, c’est tout un traitement de ce dernier que nous condamnons.
Pendant des semaines, nous avons vu dans les médias des personnalités politiques ou médiatiques se succéder les unes aux autres pour cracher sur les opposants, les traitant notamment de “faux-écologistes”. Le Ministre Clément Beaune lui-même a déclaré “Comment peut-on être écologiste et contre un projet ferroviaire ?” comme si le simple fait qu’il y ait du train était un joker anti-débat, que ça suffisait à exempter les élus en place de faire preuve de pédagogie et/ou d’inclure les populations locales dans le processus. Il est légitime de se poser des questions sur des projets d’une telle ampleur. Nous faisons face sans doute au plus grand défi de l’humanité, on ne pense pas qu’insulter les personnes ou dissoudre les mouvements qui s’opposent et mettent en doute un projet d’aménagement soit la réponse appropriée d’une démocratie.
Qui plus est venant d’une multitudes d’élus responsables du manque d’ambition écologique de la France, responsables du trop faible nombre de trains en France, responsables d’un manque de courage lorsqu’il s’agit d’agir sur l’aéronautique ou simplement de limiter les autoroutes à 110km/h… Pendant quelques semaines, nous avons eu l’impression de n’avoir que des personnes favorables au fait de débourser des milliards en faveur du ferroviaire. Malheureusement, il y a peu de chances que l’entrain collectif sera le même d’ici quelques semaines, quand il ne s’agira plus d’un projet à 30 milliards pointés du doigts par des élus du camp opposé.

Pour conclure notre position sur Lyon-Turin, nous espérons avant tout des réponses (à l’instar des questions posées par Mountain Wilderness et la CIPRA récemment) et plaidons pour que celles-ci arrivent dès maintenant, plutôt que de voir les travaux continuer sans débat public. Le projet devrait voir le jour quoiqu’il arrive, reste à s’engager pour que celui-ci soit le plus écologique possible. Faisons en sorte qu’il soit davantage une locomotive pour d’autres projets mieux abordés, plutôt qu’un wagon trop gros empêchant les autres de voir la lumière au bout du tunnel et causant une multitude de dégâts sur son passage.

Comment le militantisme devient un crime

Comment le militantisme devient un crime

Depuis plusieurs semaines, on observe un virage dans la façon de traiter les manifestants, les militants, les associations écologistes… On voulait s’exprimer sur cette pente glissante que prend l’Etat, à un moment crucial de notre histoire vis-à-vis de la lutte contre la crise écologique et climatique.

Mise à jour
Le 28 février, Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, a sorti un rapport (ici) sur la répression par l’État des manifestations et de la désobéissance civile environnementale. Le constat est glaçant et vient appuyer de tout son poids l’inquiétude qui était partagée il y a quelques mois lors de la sortie de cet article à lire ci-dessous, qui n’a pas pris une ride.
S’il n’y avait qu’un paragraphe à garder, résumant les conclusions de l’ONU, le voici ⬇️ 

La répression que subissent actuellement en Europe les militants environnementaux qui ont recours à des actions pacifiques de désobéissance civile constitue une menace majeure pour la démocratie et les droits humains. L’urgence environnementale à laquelle nous sommes collectivement confrontés, et que les scientifiques documentent depuis des décennies, ne peut être traitée si ceux qui tirent la sonnette d’alarme et exigent des mesures sont criminalisés pour cette raison.
La seule réponse légitime au militantisme environnemental et à la désobéissance civile pacifiques à ce stade est que les autorités, les médias et le public réalisent à quel point il est essentiel que nous écoutions tout ce que les défenseurs de l’environnement ont à dire.

Michel Forst

Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les Défenseurs de l'Environnement

Nous vous invitons à partager cet article ou le contenu évoquant le sujet sur les réseaux et autour de vous. Pour aller plus loin, vous pouvez jeter un oeil au rapport, ou à d’autres articles le citant plus largement, comme ici.
En attendant, voici ce que nous écrivions il y a quelques mois !

Il y a quelques jours, on évoquait le cas des Soulèvements de la Terre, menacé de dissolution, et de La Ligue des Droits de l’Homme, menacé de se faire couper ses financements publics (comme ça a pu arriver à l’antenne France Nature Environnement Haute-Savoie). Des signes manifestes d’un danger qui nous alerte en tant qu’association environnementale : la criminalisation du militantisme.

EDIT :  Après la dissolution des Soulèvements de la Terre prononcée par le gouvernement le 21 juin 2023, cette dernière a été annulée par le Conseil d’Etat le 9 novembre 2023 ! 
La juridiction administrative a rappelé que « une mesure de dissolution porte une atteinte grave à la liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République », rapportant que « aucune provocation à la violence contre les personnes ne peut être imputée aux Soulèvements de la Terre » et que la dissolution n’était pas « une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public ».

D’abord, rappelons que les possibilités de dissoudre ou de couper les financements publics d’une association doivent évidemment exister. Mais il faudrait une vraie transparence vis-à-vis des critères d’évaluations. Que de telles décisions servent davantage à s’assurer du bien fondé des structures, et non pas uniquement un moyen de supprimer des voix incarnant une opposition légitime. On comprend que l’Etat décide de la dissolution d’une structure comme Génération Identitaire par exemple, association d’extrême droite qui avait comme cœur d’action la haine raciale, la chasse de personnes migrantes aux frontières… Que soient rangées dans la même catégorie des associations de défense de l’environnement, qui alertent et se mobilisent sur des sujets à travers divers moyens d’actions comme le recours en justice ou la désobéissance civile, est une manœuvre politique inacceptable, qui ne repose sur aucun fondement sérieux.
Si nous prenons la parole, ce n’est pas uniquement pour exprimer notre profonde solidarité avec les organisations directement visées aujourd’hui par ces menaces. C’est aussi en lien avec l’existence de cette carte ⬇️

 

42 lieux sous surveillance, classés selon le degré de contestation. On y trouve la Clusaz avec l’indication “Contestation susceptible de se radicaliser à court terme”, faisant référence à la ZAD installée pour empêcher la réalisation de la retenue collinaire de Beauregard. Sans remettre en cause la volonté du gouvernement d’exercer un pouvoir de surveillance, les critères et les mots employés ont de quoi questionner. Qu’est-ce qui explique que ces endroits soient classés de la sorte ? Qu’est-ce que cela signifie pour la suite ? Ce qu’on sait, c’est que Gérald Darmanin a annoncé la création d’une cellule “anti-ZAD”. 1

Pourtant, on a vu avec l’exemple de la Clusaz que la force citoyenne était également là pour faire vivre la démocratie. C’est un collectif d’organisations, dont faisaient partie Mountain Wilderness, France Nature Environnement ou encore La Ligue de Protection des Oiseaux, qui a déposé un référé auprès du tribunal administratif de Grenoble pour demander la suspension du projet. Résultat : le tribunal a suspendu l’autorisation de retenue collinaire et a déclaré « qu’il existait un doute sérieux sur l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur permettant de déroger à l’interdiction de destruction des espèces protégées ».
Qu’est-ce qui justifie alors d’employer des termes comme “se radicaliser” en parlant des collectifs qui étaient sur place ? Est-ce qu’une association comme POW et tant d’autres ont elles aussi vocation à être traitées de la sorte, ne serait-ce que par leurs prises de parole ?

Si on considère qu’il est légitime de s’inquiéter, c’est parce que chaque intervention du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, est inquiétante : tantôt on peut entendre de sa part le terme “écoterroriste” pour parler de militants qui usent de la désobéissance civile comme moyen de contestation, tantôt il parle “de terrorisme intellectuel d’extrême gauche” pour parler des personnes présentes à Sainte-Soline et s’opposant aux méga-bassines. Ce qui est non seulement une insulte aux victimes du terrorisme en France et partout dans le monde, mais aussi une insulte grave envers l’ensemble des associations et militant.es du pays.

Au-delà des propos ou des menaces, cette ombre qui plane s’inscrit dans un contexte national inquiétant. On a vu le nombre de blessé.es et d’arrestations exploser après l’annonce du 49.3 dans les manifestations. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, s’est alarmée d’un « usage excessif de la force » de la part de la France, rappelant à respecter le droit de manifester.
Clément Voule, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et d’association, s’est également exprimé pour dire qu’il suivait « de très près les manifestations en cours et rappelle que les manifestations pacifiques sont un droit fondamental que les autorités doivent garantir et protéger ».
Un contexte inquiétant avec de multiples impacts directs : un récent sondage montre que 53% des Français.ses disent avoir peur de se rendre en manifestation et d’être victime de violence. Des centaines de personnes arrêtées puis relâchées, des images de journalistes mettant en cause le maintien de l’ordre opéré… Ces semaines de mouvement social viennent illustrer un constat qui devrait toutes et tous nous inquiéter.
Est-ce normal, pour le pays des Droits de l’Homme, de voir ses citoyens avoir peur de manifester leurs désaccords? Qu’ils concernent les enjeux sociaux ou environnementaux ? Est-ce normal que des militants et associations écologistes soient assimilés à des terroristes, car ces derniers alertent et se mobilisent sur des causes environnementales ?
 

L’expression de désaccord par des moyens comme la désobéissance civile ou les manifestations ne sont pas l’apanage de “militants extrémistes” comme peut l’exprimer le gouvernement. On a vu ces dernières années des mouvements de scientifiques se créer autour de cette question, comme Scientist Rebellion. On a vu Julia Steinberger, coauteur du dernier rapport du GIEC, participer à une action de désobéissance civile en Suisse. On entend des scientifiques expliquer qu’ils ne savent plus comment faire réagir le gouvernement.

Pour nous, le fait que de plus en plus de citoyens décident d’aller manifester, de s’engager dans diverses associations pour porter leur voix, exprime au contraire une envie de démocratie forte, peut-être plus forte que jamais. 2 Nous sommes convaincus que cette envie ne doit pas être réprimée mais bel et bien entendue.