
Retenue collinaire à Clusaz : récap, communiqué et interview
Il y a quelques semaines, le maire de la Clusaz a annoncé un moratoire concernant le projet de retenue collinaire sur le plateau de Beauregard.
On voulait vous proposer alors un récap de ce gros projet qui a animé le territoire pendant des années, avec la position des associations qui ont milité contre, mais aussi une interview de David Perillat-Amédée, adjoint au maire de la Clusaz à qui on a voulu poser plusieurs questions.
Pour rappel, vous pouvez retrouver notre position officielle sur le sujet ici
D’abord, si le sujet ne vous parle pas trop, on se tente de vous rĂ©sumer ça en quelques lignes : la Clusaz souhaitait construire une 5Ăšme retenue collinaire, c’est-Ă -dire un trou d’environ 150 000m3 pour capter l’eau, et s’en servir Ă la fois pour alimenter le village en eau, mais aussi pour la neige artificielle. Une consultation publique a eu lieu et a recueilli une majoritĂ© d’avis nĂ©gatif, mais la commission d’enquĂȘte a rendu un avis favorable, avant que le prĂ©fet de Haute-Savoie donne son feu vert.
Des associations s’y sont opposĂ©es avec le soutien de nombreux citoyens, par le biais d’une ZAD (occupation des lieux) notamment. Le tribunal administratif de Grenoble, saisi par les associations, a suspendu lâarrĂȘtĂ© prĂ©fectoral autorisant le lancement des travaux il y a un an, mettant en doute le caractĂšre essentiel de ces-derniers. DĂ©but septembre, le maire a annoncĂ© un moratoire sur le projet, c’est-Ă -dire la suspension du projet, alors que devait commencer des travaux mais que le tribunal n’avait pas rendu son verdict.
Cette nouvelle sonne la fin d’un dossier qui dure depuis des annĂ©es, et la victoire d’associations et citoyens qui se sont longuement opposĂ©s au projet. Du cĂŽtĂ© des Ă©lus, cela signifie qu’il n’y aura pas de 5Ăšme retenue collinaire pour l’instant. Pour entendre et comprendre les diffĂ©rentes parties, on souhaitait vous relayer d’un cĂŽtĂ© le communiquĂ© de presse de la coalition d’associations et de citoyens, et de l’autre la parole d’un Ă©lu revenant sur ce dossier.

AprĂšs la position des associations et le court rĂ©capitulatif des faits, on vous partage l’Ă©change que l’on a eu avec David Perrilat-AmĂ©dĂ©e, adjoint au maire de la Clusaz. âŹïž
La premiĂšre chose qu’on voulait vous demander, c’est revenir sur la dĂ©cision du moratoire. Comment cette dĂ©cision s’est construite en interne ?
On se posait la question de savoir quand est-ce qu’on allait pouvoir commencer, notamment le dĂ©frichement, si on avait une rĂ©ponse du Conseil d’Ătat favorable, est- ce qu’on allait y aller, etc. On s’est vite rendu compte que le timing nâallait pas, et puis c’Ă©tait encore un peu de tension qui allait arriver si on attaquait le dĂ©frichement rapidement. On sâest aussi rendu compte qu’on pouvait pas engager la responsabilitĂ© de la commune pour un montant de 10 millions d’euros alors qu’on ne savait mĂȘme pas quand et comment on pourrait mettre de l’eau dans cette future retenue. Ă un moment donnĂ©, on a dit âil faut ĂȘtre raisonnableâ.
On respecte la justice, le dossier est dans la main de la justice sur le fond. Donc autant se consacrer sur d’autres projets parce qu’on a d’autres beaux projets qui vont bientĂŽt sortir. Pour l’instant, le projet a besoin d’ĂȘtre Ă©tudiĂ© par la justice sur le fond et on va travailler avec eux pour se prĂ©parer Ă le faire un jour peut-ĂȘtre.
En tant qu’association, on voulait revenir avec vous, sur toutes les mobilisations qui ont eu lieu. Le projet a animĂ© de nombreux dĂ©bats, ça a mobilisĂ© beaucoup de gens, notamment avec de nombreux opposants qui sont venus exprimer leurs dĂ©saccords Ă travers une ZAD, etc. Dans un premier temps, vous, comment avez-vous vĂ©cu tout ça ? Et dans un deuxiĂšme temps, comment percevez-vous que ce soit cette mobilisation qui ait amenĂ© le tribunal administratif Ă saisir du sujet ?
Tout d’abord, c’est vrai que ça a Ă©tĂ© douloureux de vivre ces moments- lĂ , parce que je pense qu’il n’y a aucune station qui a subi autant d’attaques et deux ZADS se sont installĂ©s quand mĂȘme sur le secteur. Des enneigeurs qui ont Ă©tĂ© dĂ©tĂ©riorĂ©s, des menaces de mort qui ont Ă©tĂ© reçues, des mots plus forts que les autres qui ont Ă©tĂ© donnĂ©s et lancĂ©s envers les Ă©lus et puis aussi envers la station. Donc, je crois que je ne sais pas qui d’autre comme station de ski ou support de station de ski a vĂ©cu ça jusqu’au jour. Donc, Ă la fois un peu de colĂšre parce que ce n’est pas dans nos habitudes, mais un peu de douleur, et aussi beaucoup d’inquiĂ©tude sur ces phĂ©nomĂšnes- lĂ . Donc oui, pas facile Ă vivre. Pas facile Ă vivre parce qu’ on a Ă©tĂ© le symbole du ski bashing et puis un peu un paratonnerre pendant que d’autres faisaient leurs investissements dans la neige et dans les retenues tranquillement de leur cĂŽtĂ© et que nous, on a pris un peu pour tout le monde, un peu le symbole. Ce n’est pas facile Ă vivre pour les Ă©lus qui bossent toute la journĂ©e et les techniciens surtout.
C’est un projet aujourd’hui de la Clusaz qui est attaquĂ© par des associations, mais ça fait partie du jeu quelque part. Il faut savoir l’accepter avec humilitĂ©.
Si je comprends bien, au-delĂ Ă©videmment des dĂ©rives que tout le monde ne peut que condamner comme les menaces de mort, vous, une des choses que vous comprenez le moins, c’est le fait que ça a Ă©tĂ© la Clusaz et pas forcĂ©ment d’autres Ă cĂŽtĂ© de vous, plus que le fait que des personnes dĂ©cident de s’installer, etc, pour exprimer un mĂ©contentement ?
Non, le plus dur, c’est quand on voit cette mobilisation, des gens de l’extĂ©rieur, parce que dans ces mobilisations on est passĂ© discrĂštement voir ce qui se passait, et je n’ai pas vu trop de gens que je connaissais. Cette mobilisation extĂ©rieure qui s’est faite Ă la Clusaz, ça a Ă©tĂ© violent. Tant mieux si nos voisins ont pu faire tous les projets qu’ils souhaitaient faire. Tant mieux pour eux, tant mieux pour la montagne. Maintenant, oui, la Clusaz est aussi une station qui est regardĂ©e, Ă©coutĂ©e et peut- ĂȘtre enviĂ©e pour certains, donc c’est tombĂ© sur nous. C’est peut- ĂȘtre aussi notre modĂšle Ă©conomique de La Clusaz qui est un symbole aussi dans les deux sens.
Je reviens lĂ -dessus mais câest lâaxe le plus important pour nous en tant quâassociation, que ce soit ce projet ou un autre : que ce soit pour les citoyens ou pour les associations, d’un cĂŽtĂ©, câest ultra condamnĂ© et criminalisĂ© le fait qu’il y ait des modes d’action contestataires ; et de l’autre, cela permet d’enclencher des processus totalement dĂ©mocratiques qui ne se seraient peut- ĂȘtre pas enclenchĂ©s d’autres façons.
En voyant tout ça et lĂ , avec le recul maintenant que ce âchapitreâ est terminĂ©, quâest-ce que vous pensez de ça et est-ce que vous tirez des enseignements de la façon dont ce projet a Ă©tĂ© menĂ© ? Est-ce qu’il y a des choses que vous feriez autrement Ă l’avenir si c’Ă©tait Ă refaire ?
Sur le processus dĂ©mocratique, il a Ă©tĂ© fait au moment des Ă©lections puisque quand nous, on est arrivĂ©, nouveau mandat, le nouveau maire et les nouveaux Ă©lus, ce n’est pas quelque chose qui Ă©tait mĂ©connu des citoyens. On a Ă©tĂ© Ă©lus Ă plus de 60 %. C’Ă©tait marquĂ© dans nos programmes. C’Ă©tait pas mĂ©connu et on lâa su avec l’enquĂȘte publique qu’il y a eu, la grande majoritĂ© des citoyens du village soutiennent dans ce projet- lĂ (ndlr : la majoritĂ© des personnes participantes Ă lâenquĂȘte publique se sont opposĂ©es au projet). AprĂšs, câest cette mobilisation extĂ©rieure⊠Sur le projet en lui- mĂȘme, il y a des contestataires. TrĂšs bien, mais c’est aussi ce que reprĂ©sente ce projet- lĂ qui est contestĂ©. Donc lĂ , ça va au- delĂ du projet en lui- mĂȘme.
Je pense qu’il y a eu une mobilisation locale trĂšs petite parce que c’est cette petite mobilisation locale qui a fait des vagues et un tsunami par la suite.
On a le droit de ne pas ĂȘtre d’accord sur le fait qu’il soit fait Ă cet emplacement- lĂ . ForcĂ©ment, comme toute construction, on enlĂšve des arbres et des trucs et on dĂ©nature un petit peu, mais dans le projet, il y a des compensations, il y a des choses qui sont faites pour que ça passe puisque d’ailleurs, on a toujours l’agrĂ©ment de l’environnement. Ce qui est le plus compliquĂ© pour les gens d’ici, c’est au- delĂ de ce symbole, c’est que cette mobilisation, elle est devenue incontrĂŽlable sur d’autres sujets, sur un mĂ©lange avec d’autres sujets sociĂ©taux.
Alors pour revenir Ă votre question, oui, il y a des leçons Ă en tirer. Peut-ĂȘtre que sur l’ensemble des projets, il faut en parler aux associations, certes. Mais nous, ce qui nous intĂ©resse, ce sont les projets locaux. On a toujours travaillĂ© avec nos sociopros, on a toujours travaillĂ© avec nos habitants.
Effectivement, vous vous parlez d’un soutien local, d’un sujet bien connu localement, etc. Sans valider ou remettre en cause ce point, si je vous pose la question de l’avenir, c’est parce que, dâabord ça paraĂźt quasi certain que ce genre de mobilisation et l’implication de personnes sur un plus grand spectre arrivera sur d’autres projets Ă l’avenir. Et ensuite, est-ce que vraiment, selon vous, une implication extĂ©rieure est forcĂ©ment plus dĂ©lĂ©gitimĂ©e quand on sait le nombre de personnes qui sont passionnĂ©es, amoureux de montagne, quand on sait le nombre de personnes que la montagne ramĂšne tous les ans et quand on sait l’ampleur et l’importance des sujets Ă©cologiques ?
Câest un peu philosophique, moi je suis assez pragmatique.
Je ne pense pas que ce soit philosophique, quand on prend le nombre de personnes qui vont Ă la montagne par an, c’est Ă peu prĂšs un français sur dix. Est-ce que les personnes qui vont plusieurs fois Ă la montagne par an, est-ce qu’ils n’ont pas du tout de pouvoir citoyen sur un projet qui aura un impact effectivement Ă Ă©chelle locale, mais aussi Ă plus grande Ă©chelle territoriale ou nationale, par exemple quand on pense aux enjeux de l’eau et aux enjeux climatiques ?
Oui, aprĂšs, il faut remettre un peu les pieds sur terre. Les projets qu’on a, c’est un centre socio- culturel. Les projets qu’on a, c’est des habitations pour nos habitants, c’est des habitations pour les saisonniers.
Je ne prenais pas le cas de certains projets comme ceux-lĂ .
Avant tout, on nâest pas le totem de la montagne la Clusaz, on est un village, avec des besoins pour les habitants, ils ont des besoins de vivre Ă lâannĂ©e.
Donc s’il y a d’autres projets qui touchent plus fermement la montagne, plus fortement la montagne, c’est sĂ»r qu’on s’y prendra autrement. C’est la rĂ©ponse qu’on attend. ForcĂ©ment, on va s’y prendre autrement. Mais on cristallise beaucoup sur ce projet d’une cinquiĂšme retenue sur la la station. Les projets de la commune, ils ne s’arrĂȘtent pas lĂ .
Donc, en fait, oui, les gens de l’extĂ©rieur, dĂ©solĂ©, mais on ne focalise que sur un projet qui dĂ©truit la montagne, alors que nous, on a toujours gĂ©rĂ© en bon pĂšre de famille et qu’on a d’autres dossiers sur lesquels on a travaillĂ© depuis deux ans.
On a un plan de diversification de nos activitĂ©s de loisirs qu’on a travaillĂ© depuis deux ans et qui va sortir. Les prioritĂ©s ne sont pas les mĂȘmes aujourd’hui. Les prioritĂ©s en 2023 ne sont pas les mĂȘmes quâen 2020, parce qu’on sait trĂšs bien que le âtout skiâ ce n’est pas lĂ qu’il faut investir. AprĂšs, c’est sĂ»r que s’il y a des investissements qui doivent ĂȘtre faits sur le milieu montagnard, peut- ĂȘtre qu’on ira chercher un peu au-delĂ de notre tissu local pour faire ces projets-lĂ .
Je prenais vraiment lâexemple de la retenue collinaire, qui comme vous l’avez rĂ©pĂ©tĂ©, est un symbole et en mĂȘme temps un enjeu Ă©cologique. Ce projet, Ă l’instar d’autres projets, mĂȘme plus gros, si je prends l’exemple du Lyon-Turin, vous comprenez que ce sont des projets qui peuvent amener de plus larges mobilisations ?
Un projet comme le Lyon-Turin , effectivement je comprends qu’il peut y avoir une mobilisation nationale, internationale et que c’est un sujet de sociĂ©tĂ©. Nous, aujourd’hui, les projets qu’on a sont quand mĂȘme pas de la mĂȘme envergure.
On a quand mĂȘme beaucoup de renoncements depuis quâon est lĂ : lâinstallation dâun club MED, le renoncement dâĂ©tendre notre domaine skiable, de ne pas mettre la liaison avec le Grand-BornandâŠ
Donc sur les sujets âextra-villagesâ on a dĂ©jĂ fait pas mal de renoncements.
Maintenant, a des beaux projets qui vont sortir. Il y a une rĂ©union publique fin du mois pour exprimer tout cela Ă la population, parce que c’est Ă eux d’avoir la primeur de nos annonces et d’autres visions. Mais bien sĂ»r que sur des projets d’une maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, plus montagne, il faudra forcĂ©ment travailler avec les associations locales et voire territoriales pour avancer sur ces sujets- lĂ , mais on ne pose pas la question maintenant car ce quâon va faire c’est plutĂŽt de l’ordre du tissu local.
Notre avenir est lĂ . Nous, la Clusaz, on n’a jamais Ă©tĂ© chercher des sĂ©jours long courrier, on ne s’est jamais dit d’une station internationale⊠LĂ maintenant, on a 20% de clientĂšle Ă©trangĂšre et c’est le maximum qu’on a pu avoir ces derniĂšres annĂ©es. On a quand mĂȘme une clientĂšle trĂšs franco- française et de plus, une clientĂšle trĂšs locale avec le bassin AnnĂ©cien. Aujourd’hui, on n’a pas de projets pharaoniques qui vont venir bouleverser ce milieu.