La première chose qu’on voulait vous demander, c’est revenir sur la décision du moratoire. Comment cette décision s’est construite en interne ?
On se posait la question de savoir quand est-ce qu’on allait pouvoir commencer, notamment le défrichement, si on avait une réponse du Conseil d’État favorable, est- ce qu’on allait y aller, etc. On s’est vite rendu compte que le timing n’allait pas, et puis c’était encore un peu de tension qui allait arriver si on attaquait le défrichement rapidement. On s’est aussi rendu compte qu’on pouvait pas engager la responsabilité de la commune pour un montant de 10 millions d’euros alors qu’on ne savait même pas quand et comment on pourrait mettre de l’eau dans cette future retenue. À un moment donné, on a dit “il faut être raisonnable”.
On respecte la justice, le dossier est dans la main de la justice sur le fond. Donc autant se consacrer sur d’autres projets parce qu’on a d’autres beaux projets qui vont bientôt sortir. Pour l’instant, le projet a besoin d’être étudié par la justice sur le fond et on va travailler avec eux pour se préparer à le faire un jour peut-être.
En tant qu’association, on voulait revenir avec vous, sur toutes les mobilisations qui ont eu lieu. Le projet a animé de nombreux débats, ça a mobilisé beaucoup de gens, notamment avec de nombreux opposants qui sont venus exprimer leurs désaccords à travers une ZAD, etc. Dans un premier temps, vous, comment avez-vous vécu tout ça ? Et dans un deuxième temps, comment percevez-vous que ce soit cette mobilisation qui ait amené le tribunal administratif à saisir du sujet ?
Tout d’abord, c’est vrai que ça a été douloureux de vivre ces moments- là, parce que je pense qu’il n’y a aucune station qui a subi autant d’attaques et deux ZADS se sont installés quand même sur le secteur. Des enneigeurs qui ont été détériorés, des menaces de mort qui ont été reçues, des mots plus forts que les autres qui ont été donnés et lancés envers les élus et puis aussi envers la station. Donc, je crois que je ne sais pas qui d’autre comme station de ski ou support de station de ski a vécu ça jusqu’au jour. Donc, à la fois un peu de colère parce que ce n’est pas dans nos habitudes, mais un peu de douleur, et aussi beaucoup d’inquiétude sur ces phénomènes- là. Donc oui, pas facile à vivre. Pas facile à vivre parce qu’ on a été le symbole du ski bashing et puis un peu un paratonnerre pendant que d’autres faisaient leurs investissements dans la neige et dans les retenues tranquillement de leur côté et que nous, on a pris un peu pour tout le monde, un peu le symbole. Ce n’est pas facile à vivre pour les élus qui bossent toute la journée et les techniciens surtout.
C’est un projet aujourd’hui de la Clusaz qui est attaqué par des associations, mais ça fait partie du jeu quelque part. Il faut savoir l’accepter avec humilité.
Si je comprends bien, au-delà évidemment des dérives que tout le monde ne peut que condamner comme les menaces de mort, vous, une des choses que vous comprenez le moins, c’est le fait que ça a été la Clusaz et pas forcément d’autres à côté de vous, plus que le fait que des personnes décident de s’installer, etc, pour exprimer un mécontentement ?
Non, le plus dur, c’est quand on voit cette mobilisation, des gens de l’extérieur, parce que dans ces mobilisations on est passé discrètement voir ce qui se passait, et je n’ai pas vu trop de gens que je connaissais. Cette mobilisation extérieure qui s’est faite à la Clusaz, ça a été violent. Tant mieux si nos voisins ont pu faire tous les projets qu’ils souhaitaient faire. Tant mieux pour eux, tant mieux pour la montagne. Maintenant, oui, la Clusaz est aussi une station qui est regardée, écoutée et peut- être enviée pour certains, donc c’est tombé sur nous. C’est peut- être aussi notre modèle économique de La Clusaz qui est un symbole aussi dans les deux sens.
Je reviens là-dessus mais c’est l’axe le plus important pour nous en tant qu’association, que ce soit ce projet ou un autre : que ce soit pour les citoyens ou pour les associations, d’un côté, c’est ultra condamné et criminalisé le fait qu’il y ait des modes d’action contestataires ; et de l’autre, cela permet d’enclencher des processus totalement démocratiques qui ne se seraient peut- être pas enclenchés d’autres façons.
En voyant tout ça et là, avec le recul maintenant que ce “chapitre” est terminé, qu’est-ce que vous pensez de ça et est-ce que vous tirez des enseignements de la façon dont ce projet a été mené ? Est-ce qu’il y a des choses que vous feriez autrement à l’avenir si c’était à refaire ?
Sur le processus démocratique, il a été fait au moment des élections puisque quand nous, on est arrivé, nouveau mandat, le nouveau maire et les nouveaux élus, ce n’est pas quelque chose qui était méconnu des citoyens. On a été élus à plus de 60 %. C’était marqué dans nos programmes. C’était pas méconnu et on l’a su avec l’enquête publique qu’il y a eu, la grande majorité des citoyens du village soutiennent dans ce projet- là (ndlr : la majorité des personnes participantes à l’enquête publique se sont opposées au projet). Après, c’est cette mobilisation extérieure… Sur le projet en lui- même, il y a des contestataires. Très bien, mais c’est aussi ce que représente ce projet- là qui est contesté. Donc là, ça va au- delà du projet en lui- même.
Je pense qu’il y a eu une mobilisation locale très petite parce que c’est cette petite mobilisation locale qui a fait des vagues et un tsunami par la suite.
On a le droit de ne pas être d’accord sur le fait qu’il soit fait à cet emplacement- là. Forcément, comme toute construction, on enlève des arbres et des trucs et on dénature un petit peu, mais dans le projet, il y a des compensations, il y a des choses qui sont faites pour que ça passe puisque d’ailleurs, on a toujours l’agrément de l’environnement. Ce qui est le plus compliqué pour les gens d’ici, c’est au- delà de ce symbole, c’est que cette mobilisation, elle est devenue incontrôlable sur d’autres sujets, sur un mélange avec d’autres sujets sociétaux.
Alors pour revenir à votre question, oui, il y a des leçons à en tirer. Peut-être que sur l’ensemble des projets, il faut en parler aux associations, certes. Mais nous, ce qui nous intéresse, ce sont les projets locaux. On a toujours travaillé avec nos sociopros, on a toujours travaillé avec nos habitants.
Effectivement, vous vous parlez d’un soutien local, d’un sujet bien connu localement, etc. Sans valider ou remettre en cause ce point, si je vous pose la question de l’avenir, c’est parce que, d’abord ça paraît quasi certain que ce genre de mobilisation et l’implication de personnes sur un plus grand spectre arrivera sur d’autres projets à l’avenir. Et ensuite, est-ce que vraiment, selon vous, une implication extérieure est forcément plus délégitimée quand on sait le nombre de personnes qui sont passionnées, amoureux de montagne, quand on sait le nombre de personnes que la montagne ramène tous les ans et quand on sait l’ampleur et l’importance des sujets écologiques ?
C’est un peu philosophique, moi je suis assez pragmatique.
Je ne pense pas que ce soit philosophique, quand on prend le nombre de personnes qui vont à la montagne par an, c’est à peu près un français sur dix. Est-ce que les personnes qui vont plusieurs fois à la montagne par an, est-ce qu’ils n’ont pas du tout de pouvoir citoyen sur un projet qui aura un impact effectivement à échelle locale, mais aussi à plus grande échelle territoriale ou nationale, par exemple quand on pense aux enjeux de l’eau et aux enjeux climatiques ?
Oui, après, il faut remettre un peu les pieds sur terre. Les projets qu’on a, c’est un centre socio- culturel. Les projets qu’on a, c’est des habitations pour nos habitants, c’est des habitations pour les saisonniers.
Je ne prenais pas le cas de certains projets comme ceux-là.
Avant tout, on n’est pas le totem de la montagne la Clusaz, on est un village, avec des besoins pour les habitants, ils ont des besoins de vivre à l’année.
Donc s’il y a d’autres projets qui touchent plus fermement la montagne, plus fortement la montagne, c’est sûr qu’on s’y prendra autrement. C’est la réponse qu’on attend. Forcément, on va s’y prendre autrement. Mais on cristallise beaucoup sur ce projet d’une cinquième retenue sur la la station. Les projets de la commune, ils ne s’arrêtent pas là.
Donc, en fait, oui, les gens de l’extérieur, désolé, mais on ne focalise que sur un projet qui détruit la montagne, alors que nous, on a toujours géré en bon père de famille et qu’on a d’autres dossiers sur lesquels on a travaillé depuis deux ans.
On a un plan de diversification de nos activités de loisirs qu’on a travaillé depuis deux ans et qui va sortir. Les priorités ne sont pas les mêmes aujourd’hui. Les priorités en 2023 ne sont pas les mêmes qu’en 2020, parce qu’on sait très bien que le “tout ski” ce n’est pas là qu’il faut investir. Après, c’est sûr que s’il y a des investissements qui doivent être faits sur le milieu montagnard, peut- être qu’on ira chercher un peu au-delà de notre tissu local pour faire ces projets-là.
Je prenais vraiment l’exemple de la retenue collinaire, qui comme vous l’avez répété, est un symbole et en même temps un enjeu écologique. Ce projet, à l’instar d’autres projets, même plus gros, si je prends l’exemple du Lyon-Turin, vous comprenez que ce sont des projets qui peuvent amener de plus larges mobilisations ?
Un projet comme le Lyon-Turin , effectivement je comprends qu’il peut y avoir une mobilisation nationale, internationale et que c’est un sujet de société. Nous, aujourd’hui, les projets qu’on a sont quand même pas de la même envergure.
On a quand même beaucoup de renoncements depuis qu’on est là : l’installation d’un club MED, le renoncement d’étendre notre domaine skiable, de ne pas mettre la liaison avec le Grand-Bornand…
Donc sur les sujets “extra-villages” on a déjà fait pas mal de renoncements.
Maintenant, a des beaux projets qui vont sortir. Il y a une réunion publique fin du mois pour exprimer tout cela à la population, parce que c’est à eux d’avoir la primeur de nos annonces et d’autres visions. Mais bien sûr que sur des projets d’une manière plus générale, plus montagne, il faudra forcément travailler avec les associations locales et voire territoriales pour avancer sur ces sujets- là, mais on ne pose pas la question maintenant car ce qu’on va faire c’est plutôt de l’ordre du tissu local.
Notre avenir est là. Nous, la Clusaz, on n’a jamais été chercher des séjours long courrier, on ne s’est jamais dit d’une station internationale… Là maintenant, on a 20% de clientèle étrangère et c’est le maximum qu’on a pu avoir ces dernières années. On a quand même une clientèle très franco- française et de plus, une clientèle très locale avec le bassin Annécien. Aujourd’hui, on n’a pas de projets pharaoniques qui vont venir bouleverser ce milieu.