La Cour des Comptes accable les stations de montagne

Il y a quelques jours, la Cour des Comptes 1 a publié un rapport nommé “Les stations de montagne face au changement climatique”. Un rapport plutôt critique, qui a fortement fait réagir des acteurs des territoires de montagne, tant associatifs qu’économiques.
Chez POW on a pris le temps de lire le rapport, lire les critiques et surtout de se rendre compte qu’il manquait un élément majeur dans toutes les discussions. On vous en parle !

D’abord, que dit ce rapport ?

Le rapport de la Cour des Comptes avait pour objectif “de préciser les conséquences du changement climatique sur le tourisme hivernal en montagne et d’examiner comment les stations s’y sont adaptées.” partant du postulat que la France est “une destination majeure pour le tourisme hivernal” (2ème au rang mondial en termes de visiteurs). Une bonne chose en soi selon nous qu’un organe indépendant comme la Cour des comptes existe et puisse établir des rapports et émettre des recommandations sur des secteurs aussi importants.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le rapport pointe du doigt un certain nombre de problèmes sur la façon dont les stations de montagne s’adaptent face au changement climatique.
Dans la synthèse du rapport (ici), le sommaire donne le ton d’emblée :
1/ Le modèle du ski français s’essouffle»
2/ Les politiques d’adaptation restent en deçà des enjeux
3/ La nécessité d’une gouvernance élargie et d’une meilleure préservation des ressources naturelles
4/ Un subventionnement public significatif et croissant

La Cour des comptes épingle notamment des stratégies d’adaptation encore trop centrées sur le tout ski avec trop peu d’efforts selon le rapport consacrés à la diversification des activités, et la production de neige de culture comme principal recours face au manque de cette dernière. Un constat qu’il est difficile de contester au vu des actualités sur le sujet qui fleurissent chaque année, comme la récente polémique qui enfle sur la neige récupérée et transportée par camion dans les Vosges.

Notre position là-dessus est que diriger la majeure partie des subventions vers des solutions technologiques témoigne d’une vision trop court-termiste et ne peut répondre que très partiellement à la nécessité de s’adapter face aux réalités environnementales actuelles et futures.

La production de neige permet de fiabiliser l’enneigement à court terme. Mais, elle ne constitue qu’une protection relative et transitoire contre les effets du changement climatique. Son coût est en effet important et son efficacité tend à se réduire avec la hausse des températures : dans certains cas, la production de neige peut tendre vers une mal-adaptation.

Extrait du rapport de la Cour des Comptes

Des conclusions contestées par certains professionnels de la montagne

Face au rapport accablant, des réactions et notamment de vives critiques sur les propos et la méthodologie de ce dernier ont été partagées.
L’ANEM (Association Nationale des Elus de Montagne), l’ANMSM (Associations Nationale des Maires de Stations de Montagne) et Domaines Skiables de France 2 ont publié un communiqué commun pour «exprimer leur déception» et regretté le fait que la Cour des Comptes soit «restée sourde aux acteurs de terrain».
Selon eux, le panel de stations choisi ne serait pas assez représentatif (42 stations réparties sur tous les massifs ont été contrôlées) avec trop peu de ”grosses” stations dans l’échantillon.
Toujours selon eux, «ce rapport ne tient pas compte non plus de l’engouement persistant des clientèles pour les sports de neige».

Parmi les nombreuses contestations, une réponse directe sur le neige de culture qui améliorerait «nettement le modèle économique des domaines skiables et sa résilience aux aléas météorologiques sur les 3 à 5 mois d’une saison d’hiver. Ce point est démontré par les études Climsnow désormais largement répandues».
Problème selon nous ? Les résultats des études Climsnow ne sont pas accessibles publiquement. Donc dans un souci de transparence, notamment pour un secteur qui touche de nombreux fonds publics, il serait plus que souhaitable que ces études soient communiquées et accessibles à n’importe qui. Cela permettrait de répondre sur le fond et la pertinence (ou non) des résultats de ces études.

En attendant, comme à notre habitude, on a mis un peu de temps à réagir chez POW. On a préféré laisser la course aux réponses se faire sans nous, le temps d’éplucher le rapport et lire les différents retours. Et ça tombe bien, parce qu’une critique sur le rapport, on en a une de taille !

L’éternel oublié 

Quand on a vu qu’un rapport de la Cour des Comptes était sorti sur l’adaptation des stations de ski face au changement climatique, chez POW on n’attendait qu’une chose : est-ce qu’on va parler du transport ?

On le rappelle une énième fois : le transport est à la fois le principal secteur d’émissions de GES (Gaz à effet de serre) à échelle nationale (32% des émissions, loin devant tous les autres secteurs), mais il l’est d’autant plus pour la montagne puisque 57% des émissions environ d’une station sont attribuées au transport 3
Alors forcément, dans un tel rapport, on espérait que ce sujet incontournable soit abordé au moment de parler de stratégies d’adaptation.

Spoiler : ce n’est pas le cas.

A aucun moment dans le rapport complet n’est abordée la question de la mobilité des vacanciers ou des habitants. Pas de mention de l’impact de la voiture, avec la nécessité de mettre en place des stratégies de développement du ferroviaire et d’accélération du report modal concernant le dernier kilomètre pour les visiteurs français. Pas de mention non plus du trafic aérien en pointant du doigt la quantité de visiteurs lointains et l’impact majeur qui en découle. (Exemple avec la Clusaz dont les émissions des visiteurs long courrier représentent 2% en volume, mais 33% de l’impact carbone du transport pour la station) 4 . Pas un mot non plus sur l’importance d’accompagner de manière bien plus forte les habitants des territoires de montagnes encore massivement dépendant à la voiture. 

Comment la mobilité peut-elle être autant absente d’une telle analyse et des recommandations qui en découlent, compte-tenu de son rôle prépondérant dans le réchauffement de nos montagnes, sans parler de son impact sur la pollution de l’air ?

Qu’il s’agisse de l’acheminement par voie aérienne des clientèles toujours plus éloignées, de la place prépondérante de la voiture thermique dans le transport des français à destination de la montagne, ou du manque de solutions pour la mobilité du quotidien pour les habitants des territoires concernés, le rôle pivot de la mobilité est transverse à tous les sujets évoqués dans le rapport : élargissement de la gouvernance, tourisme “4 saisons”, utilisation des finances publiques pour l’adaptation des stations, etc.

Extrait de notre lettre envoyée à la Cour des Comptes

On ose penser que si la mobilité est absente des conclusions, c’est que les analystes ont estimé que la responsabilité des transports n’est pas directement imputable aux stations de montagne, ou que le problème est plus large. Mais comment sortir de l’inaction si chaque acteur ne joue pas son rôle : les élus locaux attendent que la Région fasse davantage, la Région demande plus d’aide de l’Etat, l’Etat dit à la Région de faire mieux, la Région dit à la SNCF de faire plus avec moins, tout le monde dit que c’est trop cher et pas rentable… Et à la fin, pas grand chose ne bouge, voire tout recule, et la part du transport dans le bilan carbone français ne cesse d’augmenter depuis près de 35 ans.

Et si la raison de cette absence serait justifiable pour certains par le fait que c’est un rapport sur l’adaptation et que la mobilité est plus souvent de l’ordre de l’atténuation, l’aspect transverse des transports sur les éléments mentionnés nous invite à penser qu’elle aurait dû avoir plus de place dans le rapport.

Pour faire remonter ce qui nous semble un oubli majeur, ou un manque de considération concernant ce sujet, nous avons écrit une lettre au Premier président de la Cour des Comptes (accessible ici) afin de lui exprimer notre regret et d’appuyer le fait que Protect Our Winters France est disponible pour partager son expertise du sujet concernant les territoires de montagnes et porter la voix de nombreux pratiquants pour qui ce sujet est un problème majeur et récurrent.

Plus d’argent, plus de concertation ?

Pour conclure, on souhaiterait appuyer sur un autre point pas assez mis en avant selon nous par la Cour des Comptes : le manque de concertation. Il nous paraît primordial, pour aller dans la bonne direction face aux enjeux environnementaux – et pour la bonne santé de notre démocratie – que des processus impliquant et entendant davantage l’avis des citoyens soient répandus. 
Il serait tout à fait souhaitable qu’un secteur touchant autant d’argent public se voie conditionner ses aides par l’existence de plus de concertations, notamment sur la façon dont ses subventions devraient être investies. Les habitants des territoires de montagnes, en leur nom ou au travers de nombreux collectifs et associations, ont une voix à porter concernant la vie et l’avenir de leurs régions et doivent être entendues sur les sujets importants, à l’instar des Jeux Olympiques et Paralympiques 2030 (vous pouvez retrouver notre dernier article sur les JO 2030 ici)




  1. La Cour des comptes a pour mission principale de s'assurer du bon emploi de l'argent public et d'en informer les citoyens. Juridiction indépendante, elle se situe à équidistance du Parlement et du Gouvernement, qu’elle assiste l’un et l’autre .

  2. Chambre professionnelle des exploitants de domaines skiables .

  3. Source : Etude de l'ANMSM x Ademe x Mountain Riders 2010 .

  4. Source 2021, Cabinet Utopies pour la CLusaz, Bilan carbone 18-19 .