Climat et médias : Mais c est quoi le problème ?
Climat et Médias : Mais c’est quoi le problème ?
Voilà deux semaines que notre campagne de mobilisation sur la place du climat dans les médias a commencé. L’outil sera en ligne jusqu’à la fin de la semaine, on vous encourage donc à solliciter ces PQR pour les pousser à la réaction et au dialogue et également à aller jeter un œil aux différentes initiatives que l’on a mis en avant ici.
En attendant, pour enchaîner sur ce grand sujet, on se penche aujourd’hui sur deux questions :
Comment expliquer ce problème entre les médias et le climat ? Et quel est le rôle de chacun.e de nous, en tant que citoyen.nes dans cette situation ?
Et à la fin de l’article, on vous propose une autre action !
Une hyper concentration des médias
Pèse aujourd’hui un problème majeur sur les médias en France : la concentration des médias.
Une hyper concentration des rédactions par des groupes industriels, des acteurs puissants, qui ont des intérêts personnels économiques loin de toute préoccupation écologiques ou sociales.
C’est le premier constat à faire lorsque l’on évoque la question de la sphère médiatique en France.
Ces dernières années, ce phénomène s’est accru extrêmement rapidement, avec la construction de véritables empires médiatiques.
L’exemple le plus connu sans doute : Vincent Bolloré.
Propriétaire de Vivendi, groupe spécialisé dans les contenus, les médias et la communication, avec en sa possession entre autres le groupe Canal + (toutes les chaînes Canal, C8, CNEWS etc.) ou encore Prisma Media, le leader de la presse magazine (Voici, Capital…) Editis, deuxième groupe d’édition français…
Et en France, ils sont quelques uns à accumuler des groupes et des rédactions à l’image de ce que fait Bolloré. Ci-dessous, une carte montrant le paysage médiatique français avec qui possède quoi, créée par Le Monde Diplomatique et ACRIMED (Observatoire des médias)
Cette concentration des médias, elle pose de nombreux problèmes. D’abord, une question de pluralisme. Plus des rédactions, des chaînes de tv ou des radios appartiennent à la même personne, plus il y a de la chance que la ligne éditoriale soit directement ou indirectement impactée. Nombreux observateurs aujourd’hui s’inquiètent par exemple de l’étendue de l’empire Bolloré, car il entraîne une extrême droitisation des débats sur ses chaînes, et auraient notamment permis la montée d’Eric Zemmour, de part la forte audience qui était consacré à ce dernier et à ces sujets de prédilection.
Comme le rappelle Julia Cagé (économiste qui travaille sur l’économie des médias et les questions de démocratie) : On a écrit dans la constitution française que le pluralisme était un principe constitutionnel. Parce qu’on veut, en démocratie, que les citoyen.nes soient exposé.es à une multitude de points de vues.
Pour prendre un exemple sur la presse régionale, le cœur de cible de notre action en ce moment.
Dans la presse régionale, on est passé de 150 titres en 1945 à une soixantaine à peine aujourd’hui.
Et derrière ces journaux locaux, des groupes de presse importants, comme le groupe Ebra, qui concentre l’ensemble de la presse quotidienne régionale de l’Est français (Le Progrès, Le Bien Public, Le Dauphiné…) et qui a comme actionnaire principal : le Crédit Mutuel.
Au delà du pluralisme, cela pose des questions d’intérêts économiques , de dépendance à la publicité, d’influence plus ou moins directe sur la gestion de ces rédactions… des facteurs encore plus importants lorsqu’il s’agit de parler d’environnement et de climat, sujets complexes, clivants, peu vendeur et qui se heurtent aux nombreux intérêts de différents secteurs.
Ces nombreuses questions ont amené le Sénat a ouvrir une commission d’enquête exceptionnelle avec de nombreuses auditions qui se sont déroulées en ce début d’année.
Avec le groupe Bouygues (TF1) qui rachète le groupe M6 ou Bolloré qui continue de vouloir s’étendre et qui est en train de racheter le groupe Lagardère et de mettre la main sur Hachette (leader du secteur du livre) Europe 1, le JDD, Paris Match… la concentration des médias est un phénomène qui s’emballe et qui inquiète de plus en plus en France.
C’est évidemment un vaste sujet qu’on n’a pas la prétention de pouvoir traiter de manière exhaustive ici, mais on trouvait important de l’évoquer pour donner des éléments d’approche sur ce milieu complexe du journalisme. On vous invite à aller jeter un œil aux ressources vous permettant d’aller plus en loin en bas de l’article.
L’écologie, un sujet trop compliqué ?
À la question qui nous anime « Pourquoi les médias ne parlent-ils pas plus de climats ? », un autre élément de réponse très important rentre en jeu : la formation des journalistes.
Parler des sujets liés à l’écologie est complexe, souvent plus que ce qu’il n’y paraît. Et les journalistes, les rédacteurs en chefs ne sont pas – pour une majorité – formés à ces questions.
Cela a donc deux conséquences : on en parle peu, et quand on en parle, c’est une rubrique à part, un supplément, réservés à des « spécialistes ».
C’est le constat que faisait très récemment Sophie Roland 1 , ancienne journaliste de Cash Investigation, qui intervient maintenant dans des écoles et des rédactions pour apprendre aux journalistes à traiter correctement les sujets liés au climat.
« Je crois que les rédacteurs en chefs manquent de connaissances sur ce thème. Pendant longtemps, l’environnement était vu comme une rubrique à part, réservée à des spécialistes. Aujourd’hui, les enjeux climatiques irriguent l’ensemble des sujets de société ‒ économie, politique, etc. Mais ni les rédacteurs en chef, ni les journalistes des services associés n’ont été formés à ces thématiques : ils n’ont pas conscience de l’urgence de les traiter à l’antenne ‒ et ne savent pas non plus comment le faire. »
On a pu observer le constat de la « rubrique à part » à travers des réponses que nous avons pu recevoir, et notamment une rédaction qui nous expliquait en quoi notre action tombait mal puisque le supplément spécial écologie de 16 pages venait de sortir, alors que c’est au contraire symptomatique du problème. On ne peut plus traiter l’actualité sans prendre en compte les questions environnementales, et se dédouaner en parlant d’ours polaires de temps en temps (même si chez POW, on aime beaucoup les ours polaires).
La question climatique est totalement dépolitisée, alors qu’elle devrait rentrer dans les lignes éditoriales de chaque rédaction pour aiguiller la façon de traiter un sujet ou même de lui donner ou non de l’importance, comme il y a à peine quelques jours, au moment où le Parisien a jugé être une bonne idée d’écrire un article et de poster une vidéo sur le plus grand Hummer du monde à Dubaï 2
La question de la formation est liée à la question de la concentration des médias par le nerf de la guerre : l’argent.
Les journalistes aujourd’hui ont de moins en moins de temps, les rédactions sont dans une logique de transmission de l’information le plus rapidement possible car il faut penser rentabilité, clics, pubs…
Alors que traiter certains sujets de façon rigoureuse prend plus de temps que de relayer une brève AFP sans aller plus loin, sans regarder les rapports initiaux etc.
Paloma Moritz, journaliste spécialisée sur les questions climatiques pour Blast, disait récemment au micro du podcast 20 minutes avant la fin du monde :
« Moi j’ai pas de formation de scientifiques, j’ai fait Sciences PO donc j’ai plutôt une formation sciences sociales. Et sur une semaine, je vais à la fois travailler sur les grandes multinationales criminelles climatiques, et le glacier de l’antarctique Ouest qui est en train de s’effondrer.
Donc je passe mon temps à m’auto-former, à lire des rapports… je passe mon temps à fact checker. C’est sûr que ça nécessite un travail en plus. Et comme beaucoup de journalistes n’ont pas le temps, et bien dès que je me spécialise sur un sujet, je ne vois que des approximations dans les articles et ça c’est très alarmant. […] C’est important aussi de travailler avec les scientifiques. Je pense que c’est une chose à faire de plus en plus de créer des relations entre les ONG, les associations, les scientifiques et les journalistes qui y ont tout intérêt »
C’est l’un de nos grands messages aux PQR que l’on a contacté : des associations, scientifiques, acteurs.trices de terrains sont là pour aider les rédactions ; il faut qu’ils s’en saisissent davantage pour parler plus fréquemment de climat.
On voulait évoquer certains sujets liés à la sphère médiatique, car il est essentiel pour nous de ne pas tomber dans le rejet des journalistes, le syndrome du « tous les mêmes ». La situation de la presse en France est loin d’être simple et loin d’être binaire. Le milieu du journalisme, ce n’est pas uniquement les têtes connues sur les plateaux tv, loin de là. C’est un milieu touché par la précarité, où il est de plus en plus difficile de s’insérer professionnellement, d’avoir un CDI… Et cela a également de nombreuses conséquences, comme le fait d’amener potentiellement à de l’autocensure pour ne pas s’éloigner de la ligne éditoriale de son média, la peur de perdre son poste, la nécessité de faire des articles lus suffisamment de fois…
Encore une fois, on vous partage des ressources sur le sujet à la fin de l’article si vous voulez en savoir davantage sur le sujet. En attendant, il faut qu’on parle d’un autre grand sujet : et vous, c’est quoi votre responsabilité dans tout ça ?
Vous avez été nombreux.ses à participer à l’action que l’on a mise en place afin de réclamer plus de climat dans les presses locales, et on vous en remercie !
Malheureusement, il y a peu de chances que du jour au lendemain l’ensemble de la presse ait des Unes sur le climat toutes les semaines, surtout avec les barrières qu’on a évoqué plus haut.
Donc même s’il faut se mobiliser pour réclamer davantage de climat dans les médias, nous avons aussi un rôle à jouer ailleurs : celui de mettre en avant le travail de celles et ceux qui œuvrent sur ces questions toute l’année !
Oui, c’est rageant de voir que le dernier rapport du GIEC est quasi un non sujet. Oui, c’est rageant de voir que la baffe de Will Smith fait le tour des médias quand le climat ne dépasse pas les 5% de temps consacré aux débats alors que la présidentielle est dans quelques jours. Et on pourrait continuer la liste longtemps…
Mais face à ça, on a toutes et tous notre rôle à jouer. On est évidemment beaucoup à agir, à se mobiliser, à aller dans la rue… Mais face à grand jeu de l’information, où chacun.e ne se bat pas à armes égales, on doit faire plus.
Si l’on a mentionné la concentration des radios, chaînes de télévision ou rédactions les plus importantes de France, il y a en face de plus en plus de médias indépendants, d’associations, d’acteurs.trices qui informent, partagent et créent du contenu, que ce soit sur les réseaux, sur des sites ou des plateformes.
De nombreuses personnes qui n’ont pas le pouvoir financier et publicitaire des géants, mais qui pourtant se battent dans la même arène : un monde d’internet régi par les algorithmes et la publicité, où le clic entraîne le clic, le like entraîne le like.
Une règle dans la cyberculture dit que l’on serait moins de 1% à créer du contenu, environ 9% à participer occasionnellement (donc partager, commenter…) et le reste consommeraient de manière passive. Ce qu’on vous propose, c’est d’essayer, chacun.e à son échelle, de faire grandir la part de personne qui participe, qui va commenter ne serait-ce que pour référencer un contenu, qui va partager soit publiquement soit à des proches, des amis…
L’idéal en ce qui concerne les médias indépendants et les associations, c’est de vous abonner ou adhérer lorsque vous le pouvez, pour faire vivre financièrement ces structures. Certains médias d’ailleurs n’ont pas d’autres choix que d’avoir un contenu payant pour se financer.
Mais pour la grande majorité d’entre nous, il est impossible de le faire pour l’ensemble des personnes que l’on souhaiterait aider.
Ne négligeons pas alors l’aide que représente le fait d’augmenter l’audience d’un travail, qui n’a que pour but d’informer, de mobiliser, d’encourager le plus grand nombre de personnes, afin de faire bouger les lignes. Participer au partage de l’information, c’est un réel pouvoir citoyen !
On vous propose donc de vous rendre sur les comptes des différents réseaux POW FR, avec comme missions de :
1/ Taguer un ou plusieurs médias indépendants que vous soutenez en commentaire
2/ Taguer une ou plusieurs associations que vous soutenez en commentaire
3/ Partager le post et ou l’article sur vos réseaux ou à vos proches pour leur faire découvrir des choses !
Et on espère que cette action, en dehors de ce cadre précis, entraînera de nouvelles habitudes.
On le répète, et on le répètera : c’est ensemble, en unissant nos forces, nos motivations, que nous arriverons à faire bouger les lignes !
Ressources :
- Article de l’ACRIMED
- Vidéo de Blast sur la concentration des médias
- Interview de David Assouline, rapporteur de la commission d’enquête pour le Sénat
- Débat Arte avec plusieurs intervenant.es dont Julia Cagé
- Interview de Sophie Roland sur Vert.eco
- Podcast sur la question “Tout est-il de la faute des journalistes ?”
- Tribune de trois associations de journalistes
- Article de France Culture sur l’empire de Bolloré
- Entretien avec Jean-Marie Charon, sociologue spécialiste des médias