La France : Un train de retard ?

Troisième article de notre campagne Objectif -57 ! Après s’être penché ensemble sur les émissions de GES régionales (ici) et les compétences régionales (ici), abordons aujourd’hui un sujet qui fait couler beaucoup d’encre ces dernières années : le train en France.
Le secteur ferroviaire est lié par de nombreux points aux régions, il nous paraissait donc intéressant de prendre du recul avant les urnes et de tenter de dresser un état des lieux du train en France. Quelle évolution pour le ferroviaire ces dernières années ? Quelle importance dans une transition vers une mobilité bas carbone ? Faisons le point.

NB : Lorsque l’on parle de secteur ferroviaire, les sujets et les axes de réflexions sont nombreux. Cet article n’a donc aucune vocation à établir un bilan exhaustif de la situation française, mais de mettre en avant des constats et des pistes de réflexions en amont des élections régionales. Les données mises en avant dans cet article sont issues de nombreuses lectures, nos principales ressources à retrouver à la fin de l’article.

Le train d’hier et aujourd’hui

Comme de nombreux secteurs, le train a connu de grandes évolutions ces dernières années/décennies. Depuis la création de la SNCF en 1938, le nombre de « voyageurs-kilomètres » 1 est passé de 22 milliards à près de 100 milliards ces dernières années (94.85 en 2017).

En 2020, le réseau SNCF c’est 5 millions de voyageurs/jours pour 14 200 trains par jour.
Ci-dessous, la répartition des passagers selon les différents moyens de transports ferrés (TAGV = Trains aptes à la grande vitesse ; TER = Train express régional ; Transilien et RER = réseaux de trains en Ile de France) en 2019. On constate l’importance de chacun de ces derniers malgré les disparités de nombre de passagers ou de « voyageurs-kilomètres ».

Répartitions usagers réseaux ferrés Source: Rapport juillet 2020 autorité-transports.fr

Ces fréquentations font du transport ferré le deuxième moyen de transport le plus utilisé par les français avec 11,5 % de voyageurs-kilomètres (chiffres de 2018, incluant le métro), loin derrière la voiture. (80,6 % pour les véhicules particuliers)

Transport intérieur de voyageurs par mode en 2018

L’évolution du ferroviaire ces dernières décennies peut laisser penser que le secteur est sur une bonne dynamique et a un rôle majeur pour la mobilité de demain, malgré un fossé énorme avec la voiture. Si l’évolution de la fréquentation ces dernières années montre l’intérêt des français pour le train – et ce malgré des dernières années compliquées suite aux mouvements sociaux puis au covid-19 – l’évolution du ferroviaire en France sur d’autres aspects est préoccupante.

Paradoxalement à l’explosion du ferroviaire ces dernières décennies, le nombre de cheminots a drastiquement chuté et est passé de 514 700 cheminots en 1938 à 142 240 cheminots en 2018. La dernière fois que l’on comptait si peu d’agents travaillant dans le ferroviaire, c’était en … 1871. Les chiffres concernent la SNCF dans sa globalité, mais la démarche de réduction des effectifs est similaire, que ce soit pour le transport de voyageurs ou le fret. Le nombre de kilomètres de voies aussi a diminué, en passant de 50000 km en 1940 à 28000 km en 2018.
Différentes logiques et stratégies au fur et à mesure des années en sont la cause et nous ne rentrerons pas dans le détail de ces dernières aujourd’hui. Restons dans le constat de la situation actuelle et parlons une nouvelle fois … argent !

Le train, combien ça coûte ?

Le plus gros problème du train actuellement, c’est qu’il coûte cher. Il coûte cher en termes d’investissements sur le réseau : SNCF Réseau a estimé à 7,6 milliards d’euros jusqu’en 2028 ce qu’il faudrait pour restaurer le réseau. Facture que l’Etat français ne semble pas décider de payer. 2
Et il coûte cher à faire rouler au quotidien. Prenons l’exemple du TER : pour les fournisseurs du service (SNCF, Régions, etc) il coûte 12 000 euros par an par voyageur. C’est plus que n’importe quel autre moyen de transport en commun.
Alors oui, un plus grand nombre d’usagers ferait baisser le coup par voyageurs, logique.
En attendant, pour baisser les coûts, ce sont les “petites lignes” qui sont menacées.
Ces petites lignes représentent actuellement 9137 km de desserte fines du territoire, soit 17 % du trafic de trains régionaux. Un quart de ces petites lignes sont empruntées par moins de 100 000 voyageurs par an.
La loi LOM, dont vous nous parlions la semaine dernière, prévoit un partage de ces 9137 km de voies : les plus fréquentées seront à la charge de l’Etat, la SNCF Réseau se chargera des « moyennes » et les régions auront la lourde tâche de « gérer » les plus petites. On voit donc ici que les régions ont soit intérêt à appliquer différentes stratégies pour remplir les lignes, soit fermer ces dernières et les remplacer par des cars, qui coûtent près de deux fois moins cher par kilomètre

On pourrait se demander pourquoi le train coûte si cher par rapport aux autres moyens de transport. Les réponses sont multiples. Globalement le train ne bénéficie pas des mêmes avantages que ses concurrents. Les cars n’ont pas à financer l’asphalte ou l’entretien des routes, tandis que l’entretien des voies ferrées est compris dans les péages que les trains payent pour circuler. Pour reprendre l’exemple des TER, ces graphiques ci-dessous nous montrent l’évolution du coût du TER ces dernières années et l’explosion des péages ferroviaires.

Coût des TER qui a doublé en 15 ans. Source: SNCF, SNCF Réseau, BAGSPNV
Coût des péages ferroviaires. Source: SNCF, SNCF Réseau, BAGSPNV

En 2018, les recettes des voyageurs couvrent 25,3% du coût du TER. En 2002, cette contribution était de 29,6%. Malgré une augmentation des recettes de +15% depuis 2002, la dégradation de ce ratio traduit une évolution des coûts de production de TER.
Pour ce qui est de l’aéronautique, l’absence de taxe sur le kérosène de la part de l’Etat français favorise grandement le secteur. Et ce n’est pas l’éco-contribution sur les billets de certains vols et les 182 millions d’euros qui vont être récupérés à destination d’infrastructures de transports plus écologiques mise en place en 2020, qui viennent redistribuer les cartes. 3

En attendant, la restructuration et les changements de ces dernières décennies sont très importants.
Pendant longtemps les lignes les plus rentables finançaient les moins rentables, sans que le réseau subissent de grands changements. Aujourd’hui ce n’est plus le cas.
On mise principalement sur les lignes à grande vitesse, les lignes qui attirent le plus de voyageurs (80 % du trafic occupe 38 % du réseau) avec une région parisienne en rôle de plaque tournante pour un grand nombre de français souhaitant prendre le train sur de longues distances. Tandis que 30 % des gares françaises ne sont pas/plus desservies par un service ferroviaire (fret ou passager).
Evolution symptomatique : les trains de nuit. En 1981, 550 gares étaient desservies par les trains de nuit. En 2020, il en reste 5. 4

Le train, ami du climat ?

Puisque les trains coûtent chers, il semble normal d’investir vers ce qu’il y a de plus rentable et d’abandonner ce qui ne l’est pas assez, comme le ferait n’importe quelle entreprise.
Intervient alors l’argument majeur du transport ferroviaire : l’empreinte carbone.
On a vu dans notre premier article l’importance des émissions de GES du transport en France et notamment la prédominance de la voiture. La part du train dans les émissions de GES nationales est plus que minime, en moyenne 0,6 %.Selon qui se retrouve face à face (TGV vs avion, voiture et car vs Intercités et TER …) la victoire du train sera plus ou moins large. Peu importe son adversaire, lorsqu’il s’agit de transports ferrés électrifiés, le résultat est à chaque fois sans appel. Et les chiffres peuvent monter très haut.
La dernière étude de Trainline 5, qui visait à comparer cinq trajets nationaux différents en train et en avion, a démontré qu’en moyenne l’impact du bilan carbone du train était 136 fois moins élevé sur ces trajets. Même si cela devait être souligné, cet article intervenant dans une campagne en vue des régionales, nous attarder sur l’empreinte carbone du TGV face à l’avion n’est pas ce qu’il y a de plus pertinent.
Penchons-nous donc sur les trains les plus polluants de France : les TER diesel.
La part de TER diesel en France en 2018 était d’environ 20 %. Les TER sont de facto des trains qui émettent davantage que les TGV. Mais les TER thermique émettent près de dix fois plus que les TER électrique 6
Qu’est-ce que cela donne si l’on oppose un TER diesel à ses opposants directs, le car et la voiture ? Ci-dessous, un tableau du rapport de la cour des comptes sur les TER. Est comparé l’impact d’un TER diesel en fonction de son nombre d’occupants au car ou à la voiture selon son nombre d’occupants également.

On constate donc que par rapport au TER électrique, l’impact du TER diesel dépend grandement de son nombre de voyageurs, même si atteindre les 80 passagers cités dans le graphique par exemple, ne représente rien d’exceptionnel. 80 passagers, cela équivaut à une rame d’un TER 73500 non électrifiée 7

Une stratégie à revoir

Au vu des enjeux en termes de mobilité bas carbone et de lutte contre le réchauffement climatique, le train doit être une option majeure dans les années à venir. Les petites lignes, TER diesel ou non, ne doivent plus être victimes de stratégies de suppressions mais bel et bien profiter d’investissements en conséquence. Les intentions des français vont dans ce même sens.
Une enquête sur les mobilités du quotidien dans les régions françaises sortie en 2019 montre les attentes des français en termes de transports en communs et notamment de transports ferrés. Pour plus de la moitié des habitants en zones périurbaines ou rurales prenant majoritairement la voiture, la raison numéro une les empêchant de prendre davantage les transports en communs est le manque de ligne adéquate, devant l’absence d’arrêt près de chez eux et la fréquence de passages trop faibles.
81 % de ce même panel déclare qu’il pourrait prendre le train plus souvent s’il avait une gare à moins de 30 minutes de chez eux. Quand on sait que, selon Railcoop, 90 % des Français résident à moins de 10 km d’une gare …
Des barrières financières importantes existent, c’est un fait. Mais ces barrières relèvent de décisions politiques. Elles doivent être des défis à relever et non des arguments pour appliquer une logique d’entreprise recherchant à tout prix le maximum de rentabilité.
Car si le coût économique d’aujourd’hui est important, quel sera le coût écologique de demain ?

Aujourd’hui le secteur ferroviaire est malade et les régions ont un certain nombre de possibilités pour essayer de le soigner, que ce soit directement avec SNCF Réseau mais également avec l’ouverture à la concurrence, qui sera l’un des sujets majeurs du secteur ferroviaire dans les temps à venir.
Quel avenir espérer ? Quelles solutions concrètes réclamer ? Qu’attendre de l’ouverture à la concurrence ?
Affaire à suivre, que ce soit à travers les futures publications, ou les évènements live qui arrivent.


 

RESSOURCES : 

Rapport sur les chiffres clés des transports en 2020 par le commissariat général au développement durablehttps://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-03/datalab-66-chiffres-cles-transport-edition-2020-mars2020.pdf 

Etude comparative de l’impact carbone de l’offre des véhicules du Shift Projethttps://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2020/02/2020-02-04_%C3%89tude-de-limpact-carbone-de-loffre-de-v%C3%A9hicules_V1.pdf 

Atlas du réseau ferré en Francehttps://it4v7.interactiv-doc.fr/html/atlas_reseau_ferre_2020_web_avecmnt_914 

Rapport sur le marché français du transport ferroviairebilan-ferroviaire-2019_chiffres_mi-annee.pdf (autorite-transports.fr) 

Dossier presse sur les petites lignes ferroviaires et les plans d’actions régionaux20200220_JBD_DP_Petites_lignes_vf.pdf (ecologie.gouv.fr) 

Rapport de la cour des comptes sur les TERRapport Les transports express régionaux à l’heure de l’ouverture à la concurrence (ccomptes.fr) 

Enquête sur les mobilités du quotidien dans les régions françaiseshttps://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2019-10/ipsos_transdev_mobilites_en_regions.pdf 

Revue d’histoire du chemin de ferIntroduction : L’évolution des réseaux de chemins de fer d’intérêt local et des tramways voyageurs-marchandises de leur naissance à leur déclin, 1865-1951 (openedition.org) 

Livre, enquête dessinée sur la privatisation du rail “Un train d’enfer”https://radioparleur.net/2020/09/09/un-train-denfer-bd-manach/ 


  1. Unité de mesure correspondant au transport d'un voyageur sur une distance d'un kilomètre. L'unité voyageur-kilomètre a l'avantage d'être additive quel que soit le mode de transport (à l’exception du transport maritime) : le déplacement de 10 voyageurs sur 100 kilomètres selon un certain mode suivi du déplacement de 10 voyageurs sur 50 kilomètres selon un autre mode donne un total de service rendu par les transports de 1 500 voyageurs-kilomètres pour ces deux modes.)

  2. À titre de comparaison,
    c’est ce que l’Etat français a
    garanti comme aides
    à Air France sur une année : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_1581

  3. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/07/11/ecotaxe-sur-l-avion-une-goutte-d-eau-dans-le-prix-des-billets_5488274_4355770.html

  4. Le collectif Oui au train de nuit ( https://ouiautraindenuit.wordpress.com/ ) plaide pour un retour des trains de nuit depuis 2016. Certains devraient arriver dans l'année

  5. Trainline : le train est 136 fois moins polluant que l‘avion (ampproject.org)

  6. selon la méthode de calcul de The Shift Project, c'est à dire en comptabilisant les émissions dues à la conversion de l'énergie dans le véhicule mais aussi les émissions dues à la production de l'énergie disponible : le TER électrique émet 500 gCO2eq/voyageurs par kilomètre, contre 4800 pour son homologue thermique

  7.  https://maligne-ter.com/lignes-de-st-etienne/quelques-details-sur-le-materiel-qui-circule-sur-nos-lignes/ .